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Mohamed Kenbib - Historien spécialiste du judaïsme marocain
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 15 juillet 2008 : 05:09

Mohamed Kenbib est l'auteur du livre "Les communautes juives du Maroc", un livre qui représente une référence et qui permet de comprendre l’histoire et les spécificités du judaïsme marocain.

Les communautés juives, comme les appelle Mohamed Kenbib, historien spécialiste du judaïsme marocain, étaient une partie intrinsèque de la société marocaine.
Sur le plan économique leur rôle et leur apport était indéniable. Selon Mohamed Kenbib, « les juifs du Maroc étaient très connus dans le commerce maritime et le colportage ».
Au niveau culturel, les Musulmans et les Juifs avaient souvent les mêmes marabouts. Mais ces similitudes allaient changer au milieu du 19ème siècle.
Cette communauté, après les vagues de départ, est réduite à quelques milliers de personnes. Elle comptait quelques 225 mille personnes en 1956 et plus de 280 mille vers les années 40.

Mohamed Kenbib est professeur de l’enseignement supérieur et directeur de recherche à l’Université Mohammed V de Rabat. Il a été conseiller culturel auprès de l’Ambassade du Maroc en France et professeur associé à l’Université Villanova en Pennsylvanie.

[www.2m.tv]

Lire a ce sujet egalement, l'excellent texte de Arrik Delouya sur
[www.darnna.com]

Par K W

Mohamed Kenbib - Historien spécialiste du judaïsme marocain
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 15 juillet 2008 : 05:16

Entretien avec Mohamed Kenbib, historien spécialiste du judaïsme marocain

“L’apport de la communauté juive est considérable”


Professeur universitaire, Mohamed Kenbib est l’auteur du livre “Juifs et Musulmans au Maroc 1859-1948”. Dans l’entretien accordé à MHI, cet historien-chercheur parle de la communauté juive au Maroc de ces racines historiques et de son évolution. Il apporte un éclairage de spécialiste sur la situation de nos compatriotes de confession juive dans le contexte actuel.

Propos recueillis par
Loubna Bernichi



Mohamed Kenbib


• Maroc Hebdo International : Peut-on parler encore de judaïsme marocain quand on sait que la communauté juive du pays ne compte plus que 3000 personnes ?

- Professeur Mohamed Kenbib : Le chiffre de 3000 est approximatif. Il mérite d’être vérifié. Est-il possible de parler encore, pour reprendre votre expression, de judaïsme marocain ? À mon sens, les deux aspects ne sont pas nécessairement liés. Et ce dans la mesure où le judaïsme marocain peut ne pas se limiter strictement au cadre territorial marocain. Des Juifs d’origine marocaine vivent un peu partout dans le monde et n’en continuent pas moins de cultiver la dimension marocaine de leur identité et d’exprimer leur appartenance à ce que l’on peut appeler par commodité de langage « le judaïsme marocain ». Si on veut schématiser, on peut assimiler ce qu’on entend par là à une sorte de vaste communauté ethno-religieuse et culturelle où l’ancrage géographique, le Maroc en l’occurrence, a sa place au niveau de l’imaginaire et de l’affect.

• MHI : Qu’en est-il du judaïsme marocain sur place ?

- Mohamed Kenbib : Au Maroc même, il me semble que l’on doit prendre en considération deux aspects, l’un ayant trait au présent et l’autre s’inscrivant dans le passé et la longue durée. Pour ce qui est du premier aspect, le fait est qu’un certain nombre de milliers de nos concitoyens sont de confession juive. En tant que tels, et quel que soit leur nombre, ils perpétuent un judaïsme enraciné dans le paysage marocain depuis plus de deux mille ans. Cette communauté a ses institutions, ses synagogues, ses écoles, ses maisons de retraite, ses fêtes religieuses, ses moussems… Elle est partie prenante dans la diversité culturelle du pays. Si l’on considère ce qui s’est passé et ce qui se passe sous d’autres horizons, je crois qu’il s’agit là d’une sorte «d’exception», dans le sens positif du terme, qu’il convient de souligner.

• MHI : Quel est l’apport de la communauté juive à la culture marocaine ?

- Mohamed Kenbib : Il y aurait sans doute lieu de préciser que l’on avait affaire dans le passé non pas à une communauté mais à des communautés juives. Il est peut-être superflu de rappeler ici la distinction classique entre les Juifs dits Tochabim, qui s’appelaient eux-mêmes «beldiyines», établis au Maroc depuis l’Antiquité, et leurs coreligionnaires Meghorachim expulsés d’Espagne en 1492..
Peut-on présenter en quelques mots la nature exacte et l’étendue (ou les limites) de l’apport que vous évoquez ? On ne peut tout au plus le jauger en n’oubliant pas le caractère multi - séculaire de la présence juive dans le pays et la fréquence des niveaux d’interpénétration et d’interaction avec l’environnement musulman. Par ailleurs, il ne faudrait pas perdre de vue le rôle de «médiateurs», ou d’intermédiaires, rempli par les Juifs dans les relations du Maroc avec l’Europe. De par leurs «fonctions» à ce niveau, ils ont servi de courroie de transmission d’un certain nombre d’innovations techniques apparues en Occident.

• MHI : Pouvez-vous illustrer le propos par quelques exemples qui nous permettraient d’appréhender, de manière concrète et vivante en quelque sorte, en quoi consistait précisément pareil apport. En quoi était-il perceptible au quotidien ?

- Mohamed Kenbib : Cet apport a été «multiple». Au niveau du costume, par exemple, les Juifs, ou tout au moins des éléments appartenant à leurs strates supérieures, ont été quasiment les premiers à endosser des vêtements de type occidental. Ceci est valable aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Celles-ci ont été, par ailleurs, les premières à utiliser des machines à coudre. Elles ont aussi précédé les Musulmanes dans l’apprentissage de la dactylographie et à enseigner. Dans l’intérieur des maisons, c’est en milieu juif qu’est d’abord apparu «le salon européen» (ou «roumi») aux côtés du traditionnel «seddari». C’est aussi dans les mellahs que l’on a commencé à s’éclairer aux lampes à pétrole. L’on pourrait évoquer aussi l’éducation moderne, l’apprentissage et l’usage des langues étrangères. L’actualité qui est la nôtre et le débat ouvert autour de la Moudawwana m’incite à indiquer que les communautés juives ont à leur actif plusieurs siècles d’avance concernant la question de la polygamie. Ce sont les «Meghorachim» qui ont contribué, au fil du temps, à l’évolution des familles juives vers la monogamie. En incitant leurs coreligionnaires «Tochabim» à adopter les «Ordonnances de Castille», ils ont fait tomber en désuétude une pratique qui était courante auparavant. On peut évoquer aussi la «Kettouba» : il s’agissait d’un véritable contrat de mariage dans lequel la famille de la mariée faisait spécifier explicitement les conditions auxquelles elle consentait à son mariage et mentionnait, par exemple, les cas où elle était en droit d’obtenir le divorce même en l’absence de l’époux. Il faut cependant préciser que, jusqu’au lendemain de la Deuxième guerre mondiale pratiquement, les mariages précoces restaient l’une des plaies des mellahs.

• MHI : Les Juifs du Maroc se considéraient-ils véritablement chez eux dans ce pays ?

- Mohamed Kenbib : Il n’est guère possible ici d’entrer dans le détail et de préciser ce que l’on entend exactement par sentiment national, nationalisme, patriotisme, appartenance nationale, communauté de destin…De manière très générale, on peut dire que les juifs ont été à la fois témoins et acteurs de l’histoire du Maroc. Ils considéraient le Maroc comme leurs pays. Faudrait-il rappeler à cet égard qu’ils ont commencé à commémorer dans les synagogues la victoire de Oued El Makhazine dès 1578. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas des périodes de tension et de heurts violents entre les individus et les groupes. La détérioration du contexte général se répercutait évidemment sur les relations intercommunautaires. En périodes de sécheresse prolongée, par exemple, l’instabilité affectait tout le monde.

• MHI : Si vous aviez à vous prononcer sur la situation actuelle que diriez-vous de ce sentiment. Les Juifs du Maroc ont-ils le sentiment d’être des citoyens à part entière ?

- Mohamed Kenbib : Vous n’ignorez pas les dispositions de la Constitution et l’égalité qu’elle établit entre tous les citoyens, qu’ils soient musulmans ou juifs. Les aléas de la conjoncture et les images d’horreur dont nous assaillent les médias ne doivent pas, à mon sens, nous inciter à mélanger les genres et à perdre de vue l’essentiel. Demandez à nos concitoyens Edmond A. El Maleh, Abraham Serfati, Simon Lévy et Sion Assidon, par exemple, s’ils se considèrent moins marocains que vous et moi! Ce serait les offenser et porter gravement atteinte à leur engagement citoyen précisément que de leur poser pareille question… Et que dire aussi de tous ces vieillards d’origine modeste que la communauté prend en charge et qui, dans leur jeunesse ou à l’âge adulte, ont préféré rester au Maroc ? Qu’est-ce qui les a retenus si ce n’est le sentiment qu’ils étaient chez eux ici ?

• MHI : Comment expliquez-vous précisément l’exode massif des Juifs marocains et qu’en l’espace de quelques décennies ils ne soient plus que près de 3000 alors qu’ils étaient près de 250.000 avant le début de l’ère coloniale ?

- Mohamed Kenbib : Le phénomène est complexe en raison de la diversité des facteurs qui l’ont provoqué. En gros, disons que le processus s’est enclenché à la veille de la création de l’Etat d’Israël. Le rôle des organisations sionistes à été décisif dans ce que j’ai qualifié de «transferts» et de «déracinement stricto sensu» dans mes publications. Le sionisme n’explique pas tout. Pour comprendre l’étendue et la rapidité du phénomène, il me semble qu’il faut prendre en considération les mutations économiques, sociales et culturelles que le Maroc a connues depuis pratiquement le milieu du XIXème siècle. Ces mutations se sont amplifiées encore davantage et accélérées sous le régime colonial. Elles ont fini par frapper de caducité les «fonctions» économiques traditionnelles des Juifs. Ceci veut dire que la paupérisation et l’absence de perspective ont provoqué des prédispositions au départ. La propagande menée par les activistes sionistes sont couvertes de «philanthropie» et les passions soulevées par les affrontements en Palestine ont fait le reste.

• MHI : Peut-on affirmer, au risque de choquer, que les Marocains sont antisémites ?

- Mohamed Kenbib : Dire qu’un Arabe ou un Berbère est antisémite est en tant que tel déjà, si je puis dire, une contradiction dans les termes. Il est inutile de s’étaler sur ce qu’on entend par Sémites… Si l’on veut parler de judéophobie, c’est autre chose. Mais même dans ce cas, comment expliquer une cohabitation multi-séculaire marquée d’innombrables formes de complémentarité, voire de symbiose, si on attribue à la majorité des sentiments de haine des Juifs ? Pour répondre à cette question, il faut sortir du cadre marocain et comparer avec le vécu et le devenir de communautés juives en Europe aussi bien au Moyen-Age qu’à l’époque moderne et surtout à l’époque contemporaine. Pour le cas qui nous concerne, les turbulences moyen-orientales, la tragédie qui se joue sous nos yeux en Palestine et la politique suivie par le gouvernement israélien dans les territoires occupés ne doivent pas nous conduire à de dangereux amalgames. Le judaïsme ne se confond pas avec le sionisme politique.

• MHI: Il y a tout de même eu assassinats de juifs marocains, dans la foulée du 16 mai!

- Mohamed Kenbib : Ceci étant dit, comment expliquer les événements du 16 mai? L’historien est habitué à travailler loin de l’immédiateté.
Il a pour lui la «terre ferme» des archives. Je vous réponderai donc en tant que citoyen essayant de rester attentif à ce qui se passe autour de lui. Comme vous le savez, et en l’état actuel de ce que les médias ont porté à la connaissance du public, c’est de terrorisme qu’il s’agit. L’écrasante majorité des victimes des attentats de Casablanca sont des Musulmans. Que des institutions juives aient été la cible des terroristes ne change rien à la nature du problème.
Et les Musulmans qui sont descendus en masse pour manifester et exprimer leur solidarité avec leurs concitoyens juifs ont donné la réponse appropriée à tous ceux qui cherchent à faire de l’amalgame. La menace nous concerne tous et il n’y a pas de distinguo ethno-religieux à faire face à ce péril.

• MHI : Qu’en est-il des recherches menées à l’Université sur la dimension juive de l’histoire et de la culture marocaine ?

- Mohamed Kenbib : Là aussi il y aurait de saines comparaisons à établir entre ce qui se fait chez nous et ce qui se fait ou ne se fait pas ailleurs. Je crois que le bilan est globalement positif dans le domaine historiographique, linguistique et littéraire en particulier.
Ces acquis nous permettent de nouer ou de poursuivre, dans le domaine académique, des relations de coopération et de partenariat avec des institutions universitaires étrangères sur un pied d’égalité. En ces temps de globalisation où la culture et le savoir constituent des enjeux de première importance et où les velléités hégémoniques prennent une acuité particulière, pareils acquis méritent d’être rappelés.
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