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Alegrina Benchimol Levy - Directrice de l'AIU a Tetouan (1885)
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 18 janvier 2008 : 22:52

Alégrina Benchimol Lévy

directrice d’école de l’Alliance israélite universelle

(Tétouan, 5 mars 1885 – ?)


Née à Tétouan le 5 mars 1885, Alégrina Benchimol est la plus jeune de trois sœurs. Ensemble, elles ont fondé et dirigé des écoles de l’Alliance israélite universelle dans dix villes en Afrique du Nord et dans l’Empire ottoman [Claire Benchimol, épouse Lévy (Tétouan, 1870 – Tripoli, mai 1905), fut enseignante et directrice à Tétouan et Tripoli, et Hassiba Benchimol, épouse Bensimhon (Tanger, 1er janvier 1876 – ?) enseigna à Fès, Tunis, Tanger, et dirigea des écoles à Fès, Larache, Uskub, Monastir, Casablanca où elle termine sa carrière le 1er janvier 1924. Une autre sœur est morte très jeune du typhus à Fez en 1900 (NdT)]. Leur mère, Madame Benchimol, inébranlablement attachée à la mission éducative de l’Alliance, avait travaillé avec le rabbin Samuel Nahon pour créer la toute première école de l’Alliance à Tétouan en 1862. Les deux frères d’Alégrina furent aussi enseignants à l’Alliance.

En 1899, Alégrina se rend à Fez pour aider sa sœur Hassiba à y établir l’école des filles de l’Alliance. L’année suivante, elle est acceptée par l’Alliance pour venir étudier à Paris, où elle suit les cours de l’école privée d’Auteuil dirigée par Madame Isaac. Le 10 octobre 1904, son diplôme d’enseignante en poche, elle part occuper son premier poste en tant qu’assistante de sa sœur Claire dont le mari, Maïr Lévy, dirige l’école de garçons de Tripoli. Dans l’année qui suit, Claire Benchimol Lévy meurt en couches, à l’âge de 35 ans. Alégrina, alors âgée de 20 ans, se retrouve à diriger l’école de filles, tout en aidant son beau-frère à s’occuper de ses nièces et de son neveu. En 1909, Alégrina décide d’épouser Maïr. « J’ai bien réfléchi et ai fini par comprendre que c’était un devoir sacré pour moi que d’accepter en souvenir de ma pauvre sœur adorée qui m’avait tant aimée. »

Sous la direction énergique et intelligente d’Alégrina, l’école de l’Alliance à Tripoli prospère. En 1911, elle accueille trois cents élèves, des galas de charité pour réunir des dons pour la communauté y sont organisés, et les ateliers de lingerie et de couture y connaissent un grand succès. Lorsqu’elle doit esquisser son approche pédagogique à l’intention de l’Alliance, Alégrina écrit : « J’ai horreur des leçons où la mémoire remplace l’intelligence et fait de l’enfant une petite machine à paroles incolores et monotones. J’aime mieux la leçon comprise qu’apprise. » En se dévouant à faire échapper ses jeunes filles à une pauvreté endémique tout autant qu’à l’emprise des pères pour qui elles ne sont qu’un « fardeau dont [ils veulent] se défaire à tout prix », Alégrina réussit à donner à ses élèves les moyens de mener une existence indépendante.

À l’automne 1910, une épidémie de choléra se déclare à Tripoli, d’une gravité telle que le consul des États-Unis organise l’envoi d’argent américain au bénéfice des veuves et des orphelins de plus en plus nombreux. Quelques mois plus tard, l’Italie occupe la ville. Alégrina, Maïr et les enfants, en compagnie d’autres membres de la communauté juive tripolitaine, s’enfuient vers Malte, où ils sont tous placés en quarantaine. Avant que la famille ait pu retourner dans sa maison à Tripoli, elle apprend qu’on lui y avait tout volé. « Il faut avoir vécu les angoissantes journées que j’ai passées », écrit Alégrina, « pour comprendre le prix inestimable du travail. »

Tripoli occupée soulève des problèmes, mais offre aussi de nouvelles opportunités. Dans ses communications à Paris, Alégrina analyse finement les deux aspects de la situation. Décrivant l’antisémitisme qui a surgi après la conquête italienne, elle suggère que cela peut paradoxalement s’avérer utile. Devant l’échec de leurs tentatives d’assimilation, les notables de la communauté juive pourraient se tourner vers leurs coreligionnaires moins fortunés pour établir de nouveaux liens solides, sérieux et emprunts de sacré. « Nous prévoyons déjà le jour où la solidarité juive tripolitaine formera un faisceau important auquel on ne pourra impunément s’attaquer. »

Incapable d’avoir elle-même des enfants, Alégrina sert avec succès de mère aux quatre enfants de sa sœur, qui partent tous pour Paris et s’engagent dans une carrière à l’Alliance. Sa mère, souffrante, était restée à Tripoli après le décès de Claire. Pour lui permettre de retrouver son pays, Alégrina demande l’attribution de postes au Maroc pour elle et son mari ; à l’été 1920, tous trois quittent Tripoli pour Mogador (Essaouira).

La situation à Mogador diffère de manière spectaculaire de celle de Tripoli. La présence des Français, avec leurs écoles, leurs inspecteurs, et leur bureaucratie dont les enseignants de l’Alliance font également partie, tout cela nécessite une approche politiquement très fine, une capacité à naviguer entre des intérêts divergents et, peut-être plus que tout, un talent pour négocier pour son propre compte. Alégrina se montre clairement à la hauteur de la tâche. Bien que fondée depuis 1908, l’école de filles manquait d’un local convenable. Les élèves, au grand dam d’Alégrina, y réussissaient moins bien que les garçons et étaient moins avancées dans leurs études. S’attaquant aux deux problèmes, Alégrina trouve un meilleur local pour l’école et réussit à convaincre Paris d’envoyer sa « fille » Messody pour lui servir d’assistante. Deux ans plus tard, l’école a 193 élèves, et le contrôleur civil peut observer de lui-même des fillettes dont les connaissances en sciences, en mathématiques, en histoire et en géographie sont « brillantes ». La création d’un programme de gymnastique est également à l’étude, pour permettre aux jeunes filles de Mogador de « se comparer aux fillettes sportives de tous les pays ».

Outre ses propres problèmes médicaux, Alégrina a subi la mort de sa mère bien-aimée et de son frère. Elle doit de plus faire face à la pression financière engendrée par le remboursement à l’Alliance des études de Moïse et de Tamo, qui ont tous les deux quitté l’Alliance avant d’avoir fini d’honorer leur engagement décennal [Les élèves sélectionnés pour suivre les quatre ans de scolarité gratuite à l’École normale israélite orientale d’Auteuil devaient s’engager à enseigner pour l’Alliance pour une durée de dix ans. À défaut, ils devaient rembourser les frais de leur scolarité parisienne.]

Malgré tout ces soucis, Alégrina réussit à créer une école dont les élèves passent les examens français avec plus de succès que leurs congénères des écoles européennes. Mais durant ces premières années, l’antisémitisme est récurrent et des tensions existent entre les israélites et les membres du Protectorat. La colonie française, écrit Alégrina en 1923, « ne veut à aucun prix que les jeunes générations juives, émancipées, intelligentes et dégourdies, détiennent à Mogador ce qui fait le charme de la culture française. Qu’il est difficile mon Dieu de bien faire sans susciter des jalousies. Nous voulons la concorde et l’union, mais on nous suppose des sentiments uniquement, jalousement dévoués aux israélites. » Consciente que la situation n’est que le reflet de ce qui existe en d’autres lieux, Alégrina croit que la seule réponse est de réussir à devenir « réellement supérieur ».

À la différence de nombre d’enseignants de l’Alliance dont les relations avec Jacques Bigart deviennent souvent orageuses, Alégrina bénéficie d’une manière continue du respect et de l’admiration du secrétaire général de l’Alliance. Lors de son seul voyage au Maroc, en 1926, Bigart rapporte combien l’école de filles de Mogador l’a impressionné, tant par son local que par la qualité de l’instruction. « Madame Lévy », conclut-il, « est une excellente directrice. » Sans doute grâce aux louanges de Bigart, Alégrina reçoit les palmes académiques en 1930 et le Prix Narcisse Leven en 1934. Peu après, elle se trouve amenée à retracer avec émotion la vie de Jacques Bigart lors d’une cérémonie commémorant sa mort.

Le décès de Bigart retarde la nomination d’Alégrina au poste qu’elle désire tant. En octobre 1938, elle est finalement nommée directrice de l’école Moïse Nahon à Casablanca. Dans son dernier rapport depuis Mogador, partiellement publié dans Paix et droit, la publication de l’Alliance, elle décrit les changements qui sont intervenus pendant ces dix-huit années, entre 1920 et 1938. Parmi ces évolutions, les plus notables sont la création d’un imposant bâtiment scolaire, le nombre d’élèves porté à 400, et l’amélioration des relations avec les nombreuses communautés locales.

Alégrina reste directrice à Casablanca pendant seulement un an. En dépit de son ardent désir de continuer à enseigner, nulle exception ne pouvait être faite concernant l’âge légal de la retraite. Sa présence à l’école continue cependant à être ressentie durant les années de guerre grâce à sa « fille » Messody qui la remplace comme directrice, assistée de sa sœur Rosita Lévy Bensimon. Les sources actuellement à notre disposition ne nous permettent pas de préciser la date et le lieu du décès d’Alégrina Lévy.

Traduction de l’anglais par Jean-Claude Kuperminc


Cette biographie a ete reconstituee par Frances Malino Professeur de la chaire d’études juives et d’histoire « Sophia Moses Robison » à Wellesley College, près de Boston. Spécialiste du XVIIIe siècle français, elle a notamment publié Les Juifs sépharades de Bordeaux (1984) et Un Juif rebelle dans la Révolution, la vie de Zalkind Hourwitz (1751-1812) (2000). Elle s’intéresse depuis plusieurs années aux institutrices de l’AIU.


BIBLIOGRAPHIE

Archives de l’Alliance israélite universelle (Paris) : Libye III E 10, E 20, E 21, E 22 ; Maroc XIII E 212, XXXVI E 625a, XXXVI E 625b, XXXVI E 627a, VI E 122 ; France III A 13, V E 5a, V E 5b, X F 19. Archives restituées : Moscou 100 – 1 – 55 (doc. 81) ; Moscou 100 - 1- 56 (doc. 3). Archives de Paris DT supplément 120.






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