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Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 14:48

Bonjour tout le monde...

Etant petit, j'écoutais avec attentions les histoires que mon père et mon grand-père me racontaient sur le 'bon vieux temps'... 15 ou 20 ans plus tard, j'ai décidé de coucher par écrit les quelques souvenirs confus qui me restent en tête... n'ayant pas de talent particulier, je me suis entéte à écrire ce petit texte qui regroupe pêle-mêle mes souvenirs des différentes histoires... certaines, je les ai vécus moi même, d'autres, on me les a raconté... je vous mets ci après les deux premiers chapitres...

Si vous êtes interessés, je rajouterais d'autres chapitres au fur et à mesure....

Bonne lecture et surtout... vos commentaires sont les bienvenus!

Omar






Re: Petite histoire - chapitre I
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 14:49

Chapitre I : La terre de mes ancêtres

La maison était dans notre famille depuis au mois cinq ou six générations. C’était une vielle demeure, toujours en bon état malgré son âge avancé, dans la vielle ville de Fès. La porte principale était une simple porte en bois encastrée dans un mur donnant sur une ruelle qui était souvent impraticable en hivers. Si la porte d’entrée ne payait pas de mine, beaucoup diraient qu’elle cachait un véritable joyau. Pour accéder à la maison, il fallait traverser un petit potager dans lequel ma grand-mère faisait pousser des tomates, des oranges, du jasmin, des amandes et même de la menthe.

Après avoir traversé le potager, on arrivait dans la maison en soi qui n’avait, pour ainsi dire, pas de porte. Il y en avait bien une, mais je ne me rappelle pas l’avoir déjà vue fermée. En fait, cette entrée donnait sur un petit couloir qui ne dépassait pas les deux mètres de longueur. Ce vestibule donnait sur le patio de la maison au milieu duquel trônait une fontaine entourée d’arbres plusieurs fois centenaires. Autour de ce patio, il y avait des pièces de dimensions égales qui étaient un peu l’espace de vivre. L’une de ces pièces faisait office de grenier et se trouvait en dessous de la cuisine qui se trouvait à l’étage. Une particularité étrange de ces deux pièces, le grenier et la cuisine, était l’espèce de trou circulaire au milieu. En fait, en dessous du grenier, l’un de mes aïeux avait creusé un puis qui sert encore aujourd’hui à ma famille pour arroser le potager, laver le parterre et autres tâches domestiques dans ce genre. Mes cousins et moi serions en train de jouer dans le patio et nous entendrions ma grand-mère appeler l’un de nous. Le système était ingénieux pour l’époque : la personne dans la cuisine appelle quelqu’un à l’étage inférieur et lui demandera d’aller dans le grenier et mettre quelque chose dans le sceau : de l’huile, de la farine ou quelque chose dans le genre. Au plafond de la cuisine, juste au dessus du trou, il y avait une espèce de poulie qui permettait à l’aide d’une corde et d’un sceau de remonter de l’eau du puis ou des denrées de la cuisine.

Les autres pièces autour du patio, à l’exception de la salle des eaux et de la mosquée, étaient des espèces de salons où on écoutait la radio, où on mangeait ou qu’importe. Durant les mois chauds de l’été, la température dépassait aisément les 40 degrés. On dormait tous, soit dans le patio, soit dans ces grandes chambres où un courant d’air venait rafraîchir nos nuits. Les chambres du haut étaient celles qu’on utilisait le moins. Il y avait bien une salle de bains à l’étage qui était bien plus spacieuse que celle du bas, mais je dois dire que pour une raison qui m’est inconnue, elle était souvent boudée. Deux des pièces du haut étaient la chasse gardée du maître des lieux, mon grand-père. L’une d’elle contenait un vieux secrétaire et les murs de la pièce étaient tapissés de livres. Il y avait aussi une radio qui était constamment branchée sur la radio du caire. Les après-midi d’été, avant la prière du Maghreb, mon grand-père aimait se retirer dans cette pièce et y écoutait la diva égyptienne Oum Keltoum. La seconde pièce était adjacente à la première et était en fait la chambre à coucher de mon aïeul.

C’est avec une réelle nostalgie que je regarde aujourd’hui cette maison dans laquelle les moments de bonheur paraissaient interminables. C’était l’époque de l’innocence, de l’enfance où il nous suffisait d’un rien pour être heureux.


Re: Petite histoire - Chapitre II
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 14:49

Chapitre II : La Chambre Maudite

Il y avait une chambre à l’étage qui nous terrifiait. Nous étions bagarreurs, insolents et très agités comme enfants, mais il suffisait que mon grand-père mentionne cette chambre pour que nous calmions nos ardeurs immédiatement. L’un de mes cousins, que je détestais à l’époque, était le gardien de cette chambre. Il était le plus âgé d’entre nous et avait décroché, à la veille de cet été là, sa ‘chahada’ qui était en fait le Certificat d’Etudes Primaires. Mon grand-père lui avait donné pour mission de garder toujours prêt un stock de branches d’olivier. Mon cousin Ali allait donc tous les matins dans le potager pour couper quelques branches des oliviers de ma grand-mère. Il était très minutieux dans son travail. Il choisissait ses branches en fonction de leur longueur, mais aussi de leur souplesse. Il lui fallait trouver des branches qui étaient à la fois souples et robustes. Il fallait qu’elles durent aussi longtemps que possible.

Une fois par semaine, Ali, qui était avec mon grand-père le seul à avoir les clés de la chambre, entreposait son chargement dans la chambre et la nettoyait un peu. Lorsque l’un de nous faisait une bêtise, il ne fallait surtout pas que ça arrive aux oreilles du vieil homme. Dans sa jeunesse, il a été bûcheron à un moment et pour son âge il avait une musculature impressionnante.

Une fois, je m’étais fait prendre par Ali en train de voler de la confiture dans le grenier pendant l’heure de la sieste. Le petit galopin qu’il était a pris un malin plaisir à aller chuchoter dans l’oreille du Haj le vol, ô combien scandaleux, que je venais de commettre.

En sortant de la pièce, après m’être rassasié de confitures, je me retrouve nez à nez avec mon grand père qui a tout de suite reconnu le coupable que j’étais dans mes yeux. Sans s’énerver, très lentement, ses yeux sont passés sur mon visage, puis ma chemise et puis vers la gauche et de plus en plus haut pour se fixer sur la porte de la chambre maudite. Je savais ce que cela signifiait et je savais aussi qu’il était absolument inutile que j’essaie de m’enfuir. Un sentiment de résignation mélangé à une colère sourde m’a pris avec une telle force que j’en ai eu mal à la tête. Comment a-t-il su ?

Je me posais la question encore lorsque je suis arrivé et que j’ai trouvé Ali sur le pas de la porte de cette maudite chambre avec un stock tout frais de branches d’olivier. Et là, du haut de mes huit ans, j’ai compris. J’ai su qu’il était impossible à Ali d’aller cueillir toutes ces branches au cours des cinq dernières minutes. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’est lui qui a prévenu mon grand-père. Tout à coup, mon mal de tête a disparu et mes idées sont devenues très claires… Je n’avais plus peur, ni de mon grand-père, ni de la punition qui allait me tomber dessus aussi sur que la nuit venait relever le jour. Par contre, j’avais en moi une rage, une colère, si forte que tout me paraissait futile. La haine que j’ai ressentie à ce moment précis pour mon cousin Ali était sans limite. Le bougre avait le culot de me faire un sourire hypocrite comme pour dire ‘je suis désolé pour ce qui t’arrive’.

Docilement, je suis rentré dans la pièce sombre, je me suis allongé par terre, j’ai enlevé mes chaussures et me suis en roulé la corde autour des chevilles. J’attendais tout en ruminant ma vengeance. Au bout de quelques minutes, une large silhouette se dessinait dans la pénombre. Mon grand-père se tenait sur le pas de la porte à contre jour. Avec le soleil derrière lui, je n’étais pas en mesure de distinguer ses traits. Tout ce que je voyais c’était la forme d’un homme grand et musclé qui avait de la peine à récupérer son souffle.

Au bout de quelques secondes, il est lentement entré dans la pièce et il a refermé la porte. A ma grande surprise, au lieu de venir vers moi, il m’a tourné le dos et a été farfouiller dans un coin de la chambre pour prendre un tabouret sur lequel il s’est assis… Il a commencé a bourrer lentement sa pipe – rien que d’en parler, j’ai encore l’odeur de ce tabac parfumé qui vient me chatouiller les narines. Lentement, il a tourné la tête vers le tas de branches que Ali avait préalablement déposé dans un coin et il en a pris une. De ses deux mains, il a commencé à la plier et a la tordre. Lentement d’abord, puis avec de plus en plus de vigueur. Au bout d’un moment il s’est arrêté pour faire son constat : « C’est une belle branche ! »
- « Est ce que tu as peur ? » me demanda-t-il d’une voix qui m’a surprise tellement elle était douce et dénuée de reproche
- « Franchement ? Pas vraiment»
- « Ah bon ! Tu sais pourtant que tu vas être sévèrement puni. Pourquoi l’as tu fais ? »
- « C’était plus fort que moi »
- « Est-ce que ça valait la peine de prendre le risque ? »
- « Oui »
- « J’admire ton courage, cependant il te suffisait de demander. Normalement, le tarif pour ce type de bêtise est de…. »
- « Trois branches… je sais »

Une branche, dans le jargon de la maison, voulait dire que mon grand-père devait battre l’insolent avec la branche jusqu’à ce que celle-ci casse. Ali se faisait un point d’honneur pour choisir des branches qui mettaient tellement de temps à casser que le bras de mon grand-père fatiguait à force de frapper.

Mon grand-père me regarde avec surprise et me dit « tu es courageux pour un garçon de ton âge, tu sais »
- « … »
- « Exceptionnellement, je vais réviser la punition à deux branches au lieu de trois, à condition que tu ne dises rien à personne »
- « D’accord »
- « Va me chercher la Heidora là bas »

(expliquer la peau de mouton)

Je m’exécute sans trop comprendre ce qui se passait.

- « Enroule-toi dedans »
- « Pourquoi ? »
- « Fais ce que je te dis et n’aies pas peur »
- « Je n’ai pas peur »
- « Très bien »

Après m’être enroulé dans la vieille peau de mouton, mon grand-père à commencé à me frapper avec la branche. La douleur était presque inexistante grâce à cette peau protectrice. Au bout d’une demi-heure, la deuxième branche a fini par casser.

- « Très bien. Maintenant je veux que tu me promesses trois choses »
- « Oui ? »
- « Premièrement, ce qui s’est passé ici doit rester un secret entre toi et moi »
- « D’accord »
- « Deuxièmement, si tu veux une friandise, viens me la demander. Si tu es sage, je ne te refuserais rien »
- « Promis »
- « Troisièmement, tu feras semblant d’avoir du mal à marcher et à t’asseoir correctement pendant deux jours »
- « C’est tout ? »
- « Oui »

A ce moment je pousse un sourire de soulagement.

- « Pourquoi ce soupir ? Tu t’en es bien sorti espèce de petit voleur ! »
- « J’avais peur que tu me fasses promettre de ne pas chercher à me venger »

Il est parti d’un fou rire…. « Tu comptais te venger de moi ?!?!? »

- « Non, grand-père. Tu n’as fait que ton devoir » lui ai-je dit de mon air le plus sérieux.
- « Merci de me comprendre » me dit il d’un air moqueur. « De qui alors ? »
- « De Ali. C’est lui qui a été te rapporter ma bêtise. Il avait peut être raison, mais il avait tout de même tort »
- « Mon fils, la vengeance n’est jamais une solution, mais je comprends ce que tu dis. Un homme doit savoir parfois prendre des décisions dont les conséquences peuvent être dures, mais c’est nécessaire dans la vie d’un homme. Déguerpis maintenant »

C’était pour moi la toute première fois de ma vie où j’ai eu une conversation d’égal à égal, ou presque, avec un adulte. Mon respect, mon admiration et mon amour pour le vieil homme s’étaient décuplés ce jour là. Du haut de mes huit ans, j’avais du mal à comprendre le sens caché de sa dernière remarque. Aujourd’hui, lorsque j’y repense, j’entrevois la sagesse de ses mots. Il me donnait une espèce de feu vert pour ma vengeance. J’avais admis avoir fait une faute et j’acceptais d’en subir les conséquences. Quant à mon cousin Ali, il n’avait aucun mérite. Il avait trahi la confiance de son cousin, en l’occurrence moi, et a sauté sur l’occasion pour d’une part m’écraser et d’autre part asseoir son influence sur mon grand-père qui lui n’était pas dupe.

Re: Petite histoire
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 16:18

Ouhhhh la la qu'est-ce qui attend Ali maintenant !!! D'autant plus que le petit garcon que tu etais a eu le demi-support de son grand-pere !

C'est tres paradoxal car d'un cote, ton grand-pere avait place sa confiance en Ali puisqu'il lui avait donne la cle de la chambre secrete, d'autre part il n'appreciait pas non plus les rapporteurs.

C'est joliment ecrit et on la lit d'un seul trait. Les descriptions sont bonnes et on distingue en imagination la maison comme on en a connue dans l'enfance, avec jardin et fontaine au milieu. Je reconnais le jasmin, la menthe et la verdure qui ne manquait pas d'etre dans chacun de ses jardins ou patios.

Bravo Omar, je suis sure que ces petits recits feront beaucoup d'adeptes.




Re: Petite histoire
Posté par: Sylvain (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 16:36

Merci Omar, pour cette histoire, J'aurais ete moi aussi tres fier d'avoir un grandPére comme le tien. Il t'a doublement marque : 1er s'il t'avais frappe, tu te serais tenu pour quite et tu aurais certainement recommencé. 2 eme, il t'a donné une grande lecon d'humanisme, lecon que tu peux transmettre a tes propres enfants et a ton entourage.
Tu m'as rappelé mon propre grandPére qui étais rabbin. Comme tu le sais en cette période de Paque Juive, il y a beaucoup de choses qui nous sont interdites sur le plan alimentaire. Quand je l'interrogeai : -Papy, est ce que je peux manger de ça ou de ci, il me répondait toujours : - Sylvain, juge toi meme. Si je te dis que c'est péché, alors que peut-etre cela ne l'est pas, le peche retombe sur moi, mais si je te dis cela n'est pas peché alors que cela l'est, je commets moi aussi un grave péche. C'est une lecon que je n'ai jamais oubliée, quand je discute avec quelqu'un, je ne cherche jamais à imposer ma maniére de voir.

Ils étaient d'une bonne trempe, nos parents ...

surtout Omar, contine

Sylvain

Re: Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 17:57

Sylvain, Darlett,

Merci pour vos mots gentils...

Pour la petite histoire, je relate ici plus la relation que mon père avait avec son grand-père, plus que la mienne avec mon grand père...

Je n'ai malheureusement pas connu cette belle époque ou toute la famille vivait sous un seul toit, j'ai plutôt grandi en appartement, dans les années 80...

Ceci dit, j'ai l'impression d'avoir vécu ces histoires moi même tellement je les ai entendu!

J'ai pas mal flané sur les différents forums de ce site et j'y ressend une réelle nostalgie pour un pays que j'aime et que j'ai quitté il y a presque dix ans...

Joyeuses paques à tous... comment on le dit en hébreu?!?!?

En tout cas, merci pour les encouragements... dans quelques jours, je mettrais un autre chapitre en ligne

Re: Petite histoire
Posté par: Le Debdoubi (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 18:31

Bonjour.

Style élégant, poétique, riche en annotations délicates, tu me rappelles un peu les ecrivains maghrebins du 20ème siècle tel Ahmed sefrioui avec "la boite à merveilles", Driss chraibi avec son "passé simple" ou ces ecrivains algériens comme Mouloud feraoun dans le "Fils du pauvre" etc...
je n'oublie pas bien sûr notre grand ecrivain Tahar ben jelloun et son roman "Harrouda".

le récit à caractère autobiographique, est une particularité de la littérature marocaine dans sa totalité.
J'en ai lu beaucoup, mais il y'a un qui m'a beaucoup ému: "Les coquelicots de l'oriental" de Said oubreak (peu connu).

Bonne continuation Mr chaoui.

Sylvain: Tu te fais rare mon chèr, je te souhaite bonne fête de Pessah.

A propos, je ne t'ai jamais posé la question sur le lien de parenté entre toi et Juda elbaz, un casablancais que je connaissais très bien, il est parti en Israêl à peine quelques années.

Le Debdoubi.






Re: Petite histoire
Posté par: ETTEDGUI ALBERT (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 21:01

mon cher omar votre recit est tres bien ecrit , toutes mes felicitations.
amities albert e

Re: Petite histoire
Posté par: Sylvain (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 21:48

Bonjour le Debdoubi,
Oui, c'est vrai, je me fais rare mais il n'y a que 24 heures par jour, hélas !!!!
Je te signale un site tres interessant, mais peut etre tu le connais, Maroc d'antan, ou de temps en temps je retrouve notre ami Abdou. Il y a d'excellentes photographies sur le Maroc et l'ambiance en est agréable et le site excellement tenu. Pour les amoureux du maroc, à consommer sans modération.
Merci pour tes voeux de Pessah, ce soir nous serons 16 a table plus une chaise vide et un couvert, comme le veut la tradition, pour le visiteur de passage, connu ou inconnu ....au menu, agneau aux Terfess, du Maroc, bien sur.

a bientot


Sylvain




Re: Petite histoire
Posté par: itri (IP enregistrè)
Date: 02 avril 2007 : 22:56

tres belle prose.
j'attends avec impatience la suite.

Re: Petite histoire
Posté par: tarzan (IP enregistrè)
Date: 03 avril 2007 : 02:11



Cher Omar Chaoui,

Cette merveilleuse histoire de famille passionnante,qui t'a fait garder en ta mémoire et bien marquer.

Le cousin Ali éspiègle et hypocrite t'a montrer sa double face envers ta humble personne,par sa jalousie,d'avoir pu profiter de voler de la confiture.

Au grand heureusement,de ce formidable grand'père,fort de caractère et d'imagination,qui t'a fait apprendre,le bon sens du droit chemin à suivre.

En outre,je te fait savoir,que je t'ai fait un acceuil d'entrée dans DARNNA,au 1er paragraphe.

Reçois mes amitiés.

" T A R Z A N "./.

Re: Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 03 avril 2007 : 09:32

Merci Tarzan et tous les autres pour votre accueil...

Comme promis, voici la suite....






Chapitre III : Le Hanoute

Mon grand-père qui a été agriculteur, bûcheron, boucher et beaucoup d’autres choses dans sa jeunesse, avait installé une petite échoppe dans cette rue marchande de Fès. Comme sa santé et son âge avancé ne lui permettaient plus de passer ses journées sous le soleil et la pluie, il avait décidé d’ouvrir un petit commerce dans lequel il vendait toutes sortes de choses : Des pains de sucre, des épices, de la quincaillerie, du tissu et d’autres produits populaires pour l’époque. La boutique, le ‘hanoute’, était une espèce d’échoppe donnant sur la rue avec une arrière boutique dans laquelle il y avait le nécessaire pour faire le thé, un petit tapis de prière et une espèce de stock d’huile, de sucre et autres produits. Au fond de l’arrière boutique, il y avait une petite porte qui communiquait avec la maison et qui permettait d’aller et venir entre la maison et le hanoute sans avoir besoin de passer par la rue. Cette particularité permettait aux femmes de la maison d’aller dans l’échoppe sans avoir besoin de se couvrir ou de porter le ‘Haïk’, habit indispensable pour les femmes de l’époque. Le haïk est l’habit traditionnel de la femme urbaine au maroc. Il consiste en une djellaba, habit ample qui couvre tout le corps sans en dévoiler la forme. Au lieu de mettre un voile comme aujourd’hui, les femmes mettaient la capuche sur leurs têtes et se cachaient le visage et le nez avec un foulard, généralement de couleur sombre.

J’ai le souvenir de mes cousines et jeunes tantes qui venaient en cati mini s’installer dans l’arrière boutique du hanoute pour regarder les passants et capter un peu l’humeur de la ville et les rumeurs du quartier. Elles avaient l’avantage de pouvoir regarder à loisir sans être vues. L’avantage qu’elles avaient dans cette arrière boutique résidait dans le fait qu’elles étaient à portée de voix des passants. Si les fenêtres des chambres du haut permettaient une meilleure visibilité, elles devaient faire appel à leur imagination pour deviner les histoires de chacun des passants.

Les chambres de l’étage qui donnaient sur la rue avaient des fenêtres larges. On avait fait installer, il y a de cela une éternité, des moucharabiehs en bois qui permettaient aux femmes de regarder la rue sans être vues. Etant enfant, je m’amusais avec mes cousins à faire toutes sortes de cris et de bruits pour attirer l’attention des passants qu’on rendait fou car ils n’arrivaient pas à nous voir.

Bien des jours après ma mémorable discussion avec mon grand-père dans la chambre maudite, je me suis retrouvé en charge d’apporter de l’eau et de la menthe fraîche au hanoute pour que El Haj puisse préparer son thé. J’ai trouvé le vieil homme en train de bourrer sa pipe. Il m’a souri lorsqu’il m’a vu arriver avec l’eau et la menthe et m’a demandé : « est-ce que tu sais faire le thé ? »

- « Non, grand-père, pas encore »
- « Eh bien laisse moi t’apprendre. Fais exactement ce que je te dis »
- « Oui, grand-père »

Sans bouger de son siège, El Haj a commencé par m’expliquer ce qu’était le thé. De sa voix cassée, des mots magiques m’étourdissaient de par leur poésie. Encore aujourd’hui, je me demande, comment un homme qui a appris à lire en prison pouvait-il être poète comme cela. Il avait passé quelques temps dans les prisons des colons car il avait combattu aux coté de la résistance lors des toutes premières années du protectorat.

- « Mon fils, le thé est comme le soleil. Tout le monde y a droit, et tout le monde l’apprécie. Riches et pauvres boivent du thé. Berbères et Arabes. Maîtres et Esclaves. Hommes et Femmes. Le thé nous réchauffe lorsqu’il fait froid et atténue notre soif lorsqu’il fait chaud. Mets de l’eau dans la bouilloire et pose là sur la braise »

En tout temps, il y avait un feu de braise dans l’arrière boutique du Hanoute. Elle servait à faire du thé, ou brûler de l’encens ou simplement à réchauffer l’endroit lors des saisons froides. Je m’exécutais puis j’attendais les ordres suivants.

El Haj se saisit de la touffe de menthe fraîche et m’invite à m’asseoir à ses côtés.

- « La menthe, me dit-il, est l’âme du thé. Il faut qu’elle soit propre, fraîche et parfumée. Il faut aussi bien faire attention à ce qu’elle soit bien sèche. Si ta menthe porte toujours sur elle l’eau qui l’a lavée, même un ‘nesrani’ n’en voudrait pas ! » (Nesrani étaient le mot qui désignait les occidentaux)

Il continuait de parler pendant que ses mains s’activaient. Il commençait à couper délicatement la menthe et s’en est fourré quelques feuilles dans la bouche.

- « Mmm… c’est de la bonne menthe ! Tu vois, il faut bien faire attention à ta menthe si tu veux réussir ton thé. Garde toujours un équilibre entre la quantité des feuilles et les tiges qui les supportent. Prends cette grande tige ! »

Je la pris. C’était comme une branche avec des petites branchettes accrochées de chaque coté. Sur ses branchettes se trouvaient les feuilles.

- « Lentement et délicatement, tu vas séparer les branchettes de la branche principale »
- « D’accord »
- « Ne t’inquiète pas. Prends ton temps »
- « Mais tu vas trop vite grand-père » il avait déjà dénudé une demi-douzaine de branche alors que j’en étais toujours à ma première.
- « Je fais cette opération trois fois par jour depuis plus de soixante ans mon fils. C’est devenu mécanique pour moi. Tu y arriveras, ne t’en fais pas »

Au bout de quelques minutes, nous avions un tas bien propre de menthe bien fraîche et bien découpée. La bouilloire commençait à siffler légèrement.

- « Maintenant, le thé. Donne moi la boite de fer blanc et la théière. Va chercher la bouilloire et fait attention à ne pas te brûler »

Il avait une vieille boite de fer blanc par terre dans laquelle il entreposait les ‘grains’ de thé vert. Bien plus tard, je me suis rendu compte que ce que nous appelions grains – d’ailleurs je crois qu’en arabe ça s’appelle toujours ‘hboub atay’ – grains de thé, sont en fait des feuilles de thé vert séchées à la mode chinoise.

Je lui tendis la boite et la théière et cherchais du regard un bout de tissu pour pouvoir prendre la bouilloire sans me brûler. J’ai attrapé un torchon qui traînait par là et me suis exécuté. Petit comme j’étais, la bouilloire m’a parue très lourde. Pour ne pas perdre la face devant mon grand-père, je grinçais des dents en gardant les lèvres bien closes et tenais fermement la bouilloire des deux mains devant moi tout en marchant lentement vers le vieil homme. Il me regardait en souriant. De sa main gauche, il me délivre de mon fardeau et soulève l’ustensile avec une aisance qui m’a rendue jaloux.

- « Tu commences d’abord par la tchlila »

Aussitôt dit, aussitôt fait. L’opération consiste à mettre une demi-cuiller à café de ‘grains’ de thé au fond de la théière et puis de verser un peu d’eau bouillante dessus. Tchlila en arabe dialectal signifie ‘rinçage’. Il a donc versé un peu d’eau chaude sur les feuilles de thé et a commencé à remuer légèrement la théière de façon circulaire de la gauche vers la droite. Il a recommencé l’opération deux ou trois fois.

- « Tu vois mon fils. Le but de la tchlila et d’enlever aux ‘grains’ de thé leur amertume. Les sahraouis et les berbères ne le font pas systématiquement. Ces gens là apprécient le thé amer. Dieu crée toute sorte de choses… Vas me chercher un morceau de pain de sucre. Il y en a un d’entamé à coté de la porte »

Mon pays a toujours été producteur de sucre. Je crois, peut être que je me trompe, que nous en avons deux espèces : le sucre extrait de la betterave ainsi que le sucre de la canne à sucre. Je ne suis pas très sûr, il faudrait que je vérifie un jour. Quoi qu’il en soit, dans mon pays, nous consommons beaucoup de sucre. Traditionnellement, le sucre était vendu dans les souks, des marchés traditionnels quotidien ou hebdomadaire, mais aussi dans des échoppes comme celle de mon grand-père. Cette denrée était vendue sous forme de ‘pains’ de sucre. Le pain de sucre pouvait atteindre jusqu’à deux ou trois kilos je crois. Le sucre était présenté comme un bloc à la forme un peu conique, qui me rappelait la forme des suppositoires. D’ailleurs, le nom du pain de sucre signifie ‘suppositoire’ en arabe dialectal : Kaleb. Les kalebs étaient généralement enroulé dans du papier grossier dont la couleur était invariablement mauve. La place du sucre dans notre société était tellement importante que très souvent, les pains de sucre faisaient partie des offrandes qu’un jeune époux faisait à sa femme.

Ayant trouvé le sucre, je le ramène à mon grand-père et je me rassieds pour suivre le reste de l’opération.

- « Tu prends une bonne poignée de menthe et tu la fourre dans la théière comme ça »

Joignant le geste à la parole, il en pris une belle poignée qui devait être l’équivalent de dix des miennes. M’ayant demandé de faire de même, j’ai plongé ma main dans le tas de menthe et j’ai essayé d’en attraper autant que possible. Comme on peu s’y attendre, j’ai mis de la menthe partout entre le tas et la théière. Mon grand-père m’a souri et me traitant de petit bon à rien.

- « Quand tu as bien bourré la menthe dans la théière, tu rajoute le sucre. Lorsque tu as des hôtes de marque, soit toujours généreux en sucre, c’est une manière d’honorer tes invités »

Pendant qu’il disait ça, il avait sorti, je ne sais d’où, une espèce de petit marteau en cuivre et avait étalé le reste du pain de sucre sur son papier d’emballage mauve. Délicatement, il a commencé à taper sur le pain de sucre de manière à en faire tomber des morceaux. Lorsqu’il jugea qu’il y en avait assez, il pris les morceaux tombés et les a mis sur la menthe, dans la théière.

- « Bien. C’est presque prêt. Donnes moi la bouilloire »

Lentement, il a commencé à verser l’eau bouillante dans la théière en faisant attention à bien mouiller le sucre pour le diluer. Lorsque la théière fut remplie à ras bord, il se leva, pris la théière à main nue, sans se soucier si elle était chaude ou pas, et alla la poser sur la braise. Au bout de quelques minutes, le thé a commencé à bouillir. Délicatement, mon grand-père se saisit de la théière et pendant que d’une main il la posait sur le comptoir, son autre main cherchait à l’aveuglette à se saisir de deux verres.

Le rituel du thé en arrivait à sa fin. On s’assit l’un en face de l’autre, et El Haj repris la parole.

- « On ne remue jamais le thé. On le mélange ! »

En disant cela, il versa une bonne rasade de thé dans un premier verre en faisant faire à la théière un mouvement du bas vers le haut, plus du haut vers le bas. Une espèce d’écume s’est amassé sur les cotés du verre.

- « Un thé sans turban n’a pas d’âme » Il s’agit là d’un dicton bien de chez nous qui veut dire que si le thé n’écume pas lorsqu’on le verse, il n’est simplement pas buvable.

Il se saisit de ce verre et le renversa complètement dans la théière. Il refit la même gymnastique à deux ou trois reprises de manière à bien mélanger la potion sans avoir eu à utiliser une cuiller ou autre. Enfin, il versa un fond de thé dans un verre, il se saisit du verre et le goûta du bout de la langue. En faisant cela, il faisait avec ses lèvres et sa langue un bruit de succion bien caractéristique. En fait, pour ne pas se brûler la langue avec le breuvage chaud, on commence à aspirer l’air tout en apportant le verre aux lèvres jusqu’à en aspirer le liquide.

- « Ca, c’est du bon thé ! »

Il remplit à moitié les deux verres en m’expliquant que l’une des choses qui distinguait les Fassis des autres, est que lorsqu’on verse le thé aux invités, on ne remplit le verre qu’à moitié de manière à toujours laisser une partie du verre libre pour que l’invité puisse s’en saisir sans se brûler les doigts.

Après ma mésaventure dans la chambre maudite et cette initiation aux secrets du thé à la menthe, ma complicité avec mon grand-père grandissait de jour en jour. Je ne sais toujours pas aujourd’hui pour quelle raison particulière le vieil homme s’est attaché ainsi au garnement que j’étais. Par ce que garnement, je l’étais certainement…

La colère que j’avais ressentie quelques semaines auparavant contre Ali était toujours bien présente et je cherchais l’occasion de me venger. Ma nouvelle complicité avec El Haj me faisait plaisir d’autant plus qu’il m’avait laissé comprendre que si je me vengeais du cousin, il ne serait pas spécialement sévère.


Re: Petite histoire
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 03 avril 2007 : 14:42

Omar, ce recit si bien detaille autour de la preparation du the a la facon marocaine est tout simplement passionnant.

Tous les details autour de ce rituel nous font sourire car non seulement, nous les reconnaissons mais en plus, leur description est si juste et si bien dite que je te felicite pour ce recit complet et extremement vivant autour de la simple preparation d'une theiere de the par un grand-pere et son petit-fils.

Omar, tu as du talent !!!! Bravo !

La derniere phrase concernant Ali est particulierement amusante. Je suppose qu'il ne perd rien pour attendre celui-la !

Re: Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 03 avril 2007 : 15:56

Merci Darlett...

Tes mots et tes encouragements me touchent profondément...

En ce qui concerne Ali, tu liras le prochain épisode demain...

Amitiées,

Omar

Re: Petite histoire
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 04 avril 2007 : 03:03

Pas mal Omar, il y a deja une centaine de personnes qui ont lu tes nouvelles. Pas mal du tout !

Re: Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 04 avril 2007 : 14:42

Chaptire suivant...

Ce chapitre est basé sur un véritable récit que j'ai entendu de la bouche de mon père... qui n'était pas si sage que ça étant enfant!

Chapitre IV : La Vengeance

Ali était le fils aîné de mon oncle. Mon père, tout comme ses frères et sœurs, avait pour habitude d’envoyer ses enfants dans la maison familiale pendant les vacances scolaires.

De tous mes cousins et cousines de ma génération, Ali était le plus âgé. Il était aussi le plus sournois. Aujourd’hui nous sommes les meilleurs amis du monde, mais lorsque nous étions enfants, nous ne pouvions nous supporter.

C’est vrai que lorsqu’on se retrouvait avec tous les autres cousins et autres bambins du quartier, notre animosité mutuelle tendait à disparaître, du moins partiellement. Ceci dit, je me méfiais constamment de lui.

Cet été là, quelques semaines après l’incident de la chambre maudite, nous nous étions faufilés dans le hanoute vers l’heure de la sieste. Nous avions l’habitude d’aller jouer là bas à cette heure-ci car comme nous ne faisions pas la sieste c’était le seul endroit où nous pouvions jouer sans déranger les ‘grands’.

Pendant que nous jouions, j’ai aperçu un grand clou de construction dans la braise qui rougeoyait tant il était chaud. Une idée démoniaque m’a traversé l’esprit ! C’était pour moi l’occasion parfaite de me venger. Je savais que j’allais recevoir une véritable raclée, au moins dix branches, mais à ce moment précis, je n’y pensais pas. Je me disais que ça valait la peine.

Des yeux, je cherchais l’espèce de grande pince que El Haj utilisait pour bouger la braise. Ayant trouvé l’outil, je m’en saisi des deux mains et j’attrape fermement le clou rougissant.

- « Ali, tu as déjà vu un clou rouge ? »

Le pauvre était accroupi devant moi, me tournant le dos, en train d’essayer de faire tourner la toupie sur sa main.

- « Non ! Je n’en ai jamais vu ! »

Il disait ça sans même se retourner. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais. « Attrape ! » Lui ai-je dis.

Il s’est retourné nonchalamment en me tendant sa main droite, la paume bien ouverte. Je déposais le clou brûlant sur sa main. Pendant un tout petit instant, il avait commencé à refermer ses doigts sur le clou, jusqu’au moment où il s’est rendu compte de ce que c’était vraiment.

Il lâcha son fardeau et poussa un cri qui m’avait glacé le sang. Sa main était rouge écarlate et la peau de sa paume s’était fissurée. Un mince filet de sang est apparu. Il se tenait le poignet de la main blessée avec son autre main. De ses yeux jaillissaient des larmes de douleur et je pouvais lire une haine sans limite dans ses yeux.

Pendant que je préparais mon coup, je me pensais que le simple fait de me venger et de le voir souffrir me ferait immédiatement du bien. Dieu sait que j’ai eu des sensations diverses lorsque j’ai fait mon sale coup à Ali, mais aucune de ces sensations de faisait du bien. J’ai eu peur pour lui, j’ai eu pitié de lui, j’ai même eu de la compassion, mais en aucun cas je n’étais content ou fier de ma besogne.

Ali, tout en tenant sa main blessée, est parti en courant vers la maison en criant et pleurant bien fort. Il avait réveillé tout le monde alors que je suis resté planté là, tout seul, dans le hanoute. Tout s’était passé très vite, et pourtant j’étais au ralenti. Ma main s’est baissée et j’ai laissé tomber par terre le clou, encore brûlant pourtant, qui avait perdu sa couleur rougeâtre.

J’ai entendu ma grand-mère m’appeler. Je me suis dirigé vers la maison lentement. J’ai trouvé tous mes cousins et cousines autour de Ali au milieu du Patio. Ma grand-mère le tenait dans ses bras bien fermement et l’empêchait de bouger.

- « Vite les enfants, venez faire pipi »
- « …..?!?!?!?! »
- « Allez ! faites vite »

A la surprise générale, on s’exécutait. Je me rappelle que mes cousins et moi nous nous regardions dans les yeux en nous demandant quelle mouche avait piqué la vieille dame.

- « Faites ce que vous dit votre grand-mère »

C’était la voix de mon grand-père qui avait sifflé comme un tonnerre. Il avait vu le raffut du haut de sa chambre et il descendait vers nous. A notre grande surprise, il s’avançait vers notre groupe et il commençait à relever sa Djellaba. Ali pendant ce temps avait arrêté de pleurer et de gesticuler. Ses yeux, toujours en larmes, passaient de ma grand-mère vers mon grand-père et vice versa. Lui non plus ne comprenait rien à ce qui se passait.

- « Ali mon chéri, tends ta main vers ton grand-père. N’aies pas peur, ça ne fait pas mal. Ça va te faire du bien »

Incertain, Ali faisait ce que la vénérable dame lui disait sans être trop convaincu. Mon grand-père d’abord, et puis mes cousins et moi, avions commencés à uriner sur la main de mon cousin qui lui fermait les yeux, certainement par dégoût.

Ce n’est que bien plus tard dans ma vie, que j’ai appris que l’urine était un bon moyen de soigner immédiatement une brûlure. En effet, l’urine venant de l’intérieur du corps, ne contient ni microbes, ni bactérie. C’est un liquide naturellement stérile dont la relative chaleur – la chaleur du corps humain – soulage les brûlures.
Après avoir terminé notre besogne, ma grand-mère avait commencé à nettoyer la blessure de Ali avec un bout de tissu propre imbibé d’eau. Elle l’a ensuite pris dans la salle d’eau pour lui savonner la main et la couvrir d’un chiffon propre et bien frais. Je crois que la blessure n’était que superficielle. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal.

- « Qu’est ce qui s’est passé ? lui demanda ma grand-mère »
- « J’étais en train de jouer avec Youssef et puis… »

Il s’était arrêté quelques secondes seulement pendant lesquelles je me suis vu à sa merci. En tant que victime, il pouvait exagérer la vérité comme il le voulait, je n’avais aucun moyen d’échapper la punition qui me tomberait dessus comme le marteau sur l’enclume. Dure et sans appel.

Pendant qu’il s’était tût, Ali m’a regardé dans les yeux, et je crois y avoir vu, en dépit de leur rougeur et des larmes autour, une espèce de sourire.

- « … et puis, je l’ai poussé contre le Mejmer - c’est l’ustensile dans lequel on fait chauffer la braise - et le clou qu’il y avait dessus est tombé. J’ai voulu le remettre à sa place sans penser que c’était chaud »
- « Donc tu t’es fait ça tout seul ? » Lui demanda mon grand-père dont le regard se posait une fois sur Ali, une fois sur moi.
- « Oui » dit Ali avec une légère hésitation
- « Est-ce que c’est vrai, Youssef ? » Me demanda El Haj.

Je ne savais pas trop quoi répondre tellement j’étais surpris par ce que Ali venait de dire. Je venais de commettre la plus grosse bêtise de ma vie et il en était la victime directe. Au lieu de rapporter la faute, comme il l’avait toujours fait jusque là, il m’a protégé et couvert en devenant indirectement mon complice…Je secouais légèrement la tête de haut en bas.

- « Ali, est tu sûr de ce que tu me dis là ? »

Ali m’a regardé, puis à regardé le patriarche dans les yeux et lui a répondu.

- « Puisque je te le dis ! »

Mon grand-père a fini par hausser ses épaules et s’est tranquillement retourné pour reprendre sa sieste.

- « Tu as eu de la chance petit garnement, lui dit ma grand-mère qui n’avait pas arrêté de nettoyer et soigner la blessure de Ali. Tu vas t’en tirer avec une petite cicatrice et dans deux ou trois jours tu ne devrais plus avoir mal »
- « Merci grand-mère »
- « Bon allez, arrête de pleurnicher et va jouer. Fait quand même attention à ta main »

Et comme ça, moins d’une demi-heure après l’incident, Ali s’est relevé et il m’a dit de le suivre pour aller jouer avec lui.

J’étais toujours abasourdi par le coup de théâtre dont je venais d’être témoin. Surpris comme je l’étais, j’ai suivi docilement mon cousin.

- « Pourquoi tu as fait ça ? » Lui ai-je demandé.
- « Je ne sais pas »
- « Ne te moque pas moi. Qu’est ce que tu veux en échange de ton silence ? »
- « Rien. Je te promets »
- « Je ne comprends pas »
- « Ecoute, je sais que tu ne m’aimes pas par ce que je t’ai toujours fais des coups bas. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je le regrette et je comprends que tu aies eu envie de te venger »
- « Tu as toujours mal ? »
- « Oui, mais ça va aller. Je grandirais et j’oublierais »
- « Pardonne-moi, je crois que j’y ai été un peu fort »
- « Oublies ça. On fait la paix ? »
- « Chiche ! »

Et comme ça, du jour au lendemain, Ali et moi sommes devenus les meilleurs amis du monde. Après cet incident, nous faisons nos bêtises ensembles et chacun de nous couvrait l’autre. Il était toujours en charge de la cueillette des branches d’olivier, mais il était de moins en moins méticuleux. Il prenait des branches vieilles et sèches qui cassaient rapidement.


Re: Petite histoire
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 04 avril 2007 : 16:11

C'est passionnant mais plutot invraissemblable ! Tu es sur Omar que c'est du reel et du vecu ?

Fichtre ! apres une vengeance pareille, obtenir un tel retournement de la part d'Ali, c'est pas tres plausible !
Moi ? je l'aurais mis en pieces le cousin qui aurait eu la drole d'idee de me jeter un clou braise sur les mains !

Cela me fait un peu penser a la serie de mon enfance "Les malheurs de Sophie" de la Comtesse de Segur mais avec cette fois des prenoms marocains.
Tu pourrais les reunir et les publier tes histoires, cela fera le bonheur des adultes et des enfants. Il y a toute une atmosphere a travers ses histoires qui est decrite, comme l'habitat, l'autorite parentale, les remedes de grands-meres, les nombreux cousins et cousines, etc...






Re: Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 04 avril 2007 : 16:19

Merci Darlett,

Il est évident que j'exagère - en bon marocain que je suis - certains aspect de l'histoire... la vérité est que Ali - qui est en fait le cousin de mon père - a mis des années à lui pardonner ça! mais pour mon histoire, j'ai besoin que les deux personnages fassent la paix, et j'ai aussi envie qu'il y ait une leçon de pardon...

En refusant de confondre son cousin, Ali lui Pardone. En faisant cela, on obtient ce qui suit:
- Ali et youssef deviennent amis
- Ali devient un peu plus sympathique vis-à-vis du lecteur
- Oeil pour oeil, dent pour dent. Les deux cousins se sont chacun fait une vacherie, puis il finissent par faire la paix.

C'est un grand honneur que tu me fais, de comparer, mes petites histoires à celles de Mme la Comptesse de Ségur!(c'est comme ça que ça s'écrit?)... Franchement, je serais plus qu'heureux de trouver un éditeur qui voudrait publier et distribuer mes petites histoires, mais je ne crois pas que j'ai le niveau litérraire requis. De plus, je ne saurais pas ou commencer!

En tout cas merci... d'autres épisodes suivront bientôt!

O.

Re: Petite histoire
Posté par: darlett (IP enregistrè)
Date: 04 avril 2007 : 16:49

Oui Omar, c'est comme je le pensais.
Comme tout ecrivain qui se respecte tu t'es base sur la realite pour enjoliver ensuite un peu les reactions et personnages. C'est la raison pour laquelle, j'ai pense aux histoires contees aux enfants par le message justement educatif qu'elles comportent, et ainsi je me suis souvenue des livres de mon enfance de la Comtesse de Segur.

Personnellement, je pense que la qualite de tes textes et le niveau narratif est excellent et je suis persuadee qu'ils sont dignes d'etre publies.
En tous les cas, il faut continuer a assembler ces textes, viendra ensuite le graphisme et le reste pour editer le tout et peut-etre publier. En tous les cas, je suis certaine que tu auras un large public.




Re: Petite histoire
Posté par: Omar Chaoui (IP enregistrè)
Date: 04 avril 2007 : 16:58

Encore merci Darlett pour tes encouragements...

Jamais je n'ai pensé à faire des dessins et ou graphismes pour illustrer ces histoires... c'est une très bonne idée que tu me donnes là... si seulement je savais dessiner!

O.

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