Re: Historique sur Juifs du Maroc
Posté par:
Amine 93 (IP enregistrè)
Date: 07 décembre 2006 : 09:39
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L’histoire des Juifs au Maroc
L’histoire des Juifs au Maroc évolue au rythme de celle de ce pays, lequel a connu de nombreux flux et reflux de population au cours des siècles : les Berbères et les Romains, les Vandales et les Byzantins, puis les Arabes. Une longue saga, parfois douloureuse. Mais concernant la communauté juive, d’autres éléments spécifiques ont également eu leur importance : la destruction du Second Temple qui a entrainé un éparpillement des Juifs de par le monde « civilisé » de l’époque, et bien plus tard, l’expulsion des Juifs d’Espagne, qui a profondément changé la structure du judaïsme européen et nord-africain.
Dans ce premier volet de notre dossier spécial, c'est l’histoire globale de la communauté juive du Maroc que nous voudrions retracer.
Nous allons nous pencher sur une première période d'une présence juive au Maroc, pour lesquelles les légendes sont plus nombreuses que les faits établis. Avec l'installation des Romains, les informations se précisent, et en un troisième temps, c'est l'histoire des Juifs sous les diverses dynasties musulmanes qui sera abordée
I. La première période de l’exil des Juifs au Maroc
On parle d'une présence juive au Maroc dès l’époque du Premier Temple. Nous tenterons d’éclaircir dans ce chapitre si cela est plausible.
A cette époque, ils auraient rencontré sur place une peuplade elle aussi venue d’ailleurs, les Berbères. L’origine précise des Berbères reste encore floue de nos jours, malgré de nombreuses recherches ; aucune réponse définitive n’a été apportée. Cette question intrigue beaucoup les Berbères d’aujourd’hui, à la recherche de leur identité. Il se peut que nos sources, en retraçant le parcours des Juifs du Maroc, puissent aussi contribuer à éclaircir cette « énigme ».
Quant aux relations entre les deux peuples, les historiens restent partagés sur le sujet ; il semble de même qu’une analyse toranique permette d’y voir plus clair.
Des Juifs en Afrique du Nord à l’époque du Premier Temple –Mythe ou réalité ?
S’il est incontestable que les Juifs soient arrivés en Afrique du Nord après la destruction du Second Temple (3828/68), quand Rome a dispersé les vaincus dans l’ensemble du pourtour méditerranéen, certains historiens prétendent que l’on trouve déjà trace de Juifs installés dans ces contrées avant même l’exil, dès la période du Premier Temple (entre 2928/-832 et 3338/-4221). Cela parait assez surprenant, lorsqu’on sait que les Juifs sont entrés en Terre sainte avec Yéhochoua‘ (2488/-1272), et qu’ils y ont a priori vécu jusqu’à la destruction du Premier Temple, en 3338/-422, date de l’exil. A la suite de cette catastrophe, les prophéties indiquent que c’est en Assyrie que les Juifs ont été exilés, et non point dans le pourtour du bassin méditerranéen.
Pourtant il est vrai qu’on trouve également d’autres traditions, selon lesquelles certains Juifs vivaient déjà en dehors d’Erets Israël à la période du Premier Temple tant au Yémen, qu’en Allemagne, en Tunisie et en Espagne2.
En vérité, le prophète ‘Ovadya (3183/-577 – 3199/-561), qui vécut du temps du roi d’Israël A’hav et sauva une partie des autres prophètes de la furie de ce roi et de son épouse Isabelle, fille du roi de Tsidon, parle déjà de l’exil des enfants d’Israël. Il écrit (verset 20) : « Et cet exil qui commence de cette légion d’enfants d’Israël, qui sont chez les Cananéens jusqu’à Tsarfath, et l’exil de Jérusalem qui se trouve en Sefarad ». L’expression « qui commence » signifie-t-elle que le prophète parle de sa réalité contemporaine ? Certains commentaires abondent dans ce sens, ainsi que nous allons le constater.
La plupart des auteurs localisent « Tsarfath » en France, et « Sefarad » en "Ispania", en Espagne (Yonathan ben 'Ouziel).
Pour le Ibn ‘Ezra et le Radaq, le point de départ de cet exil se situe à la destruction du Second Temple, et la prophétie en question concernera une période bien plus tardive que celle de ‘Ovadya.
Rachi, en revanche, explique que la « légion des enfants d’Israël » sont « celle des dix tribus qui furent exilées au pays des Cananéens jusqu’à Tsarfath ». Il s’agirait donc là de l’exode des tribus perdues, qui se déroula avant même la destruction du premier Temple : cet exil a commencé 155 ans avant la fin de cette période, en 3205/-555. Il a débuté par une première phase, à savoir l’exil de la tribu de Naftali sous Sanhériv, en 3187/-573 ; il a continué en 3195/-565, avec le départ des tribus habitant du côté oriental du Jourdain, puis a été achevé en 3205/555 avec l’exil du reste des dix tribus par le roi d’Assyrie. En 3213/-547, Sanhériv, roi d’Assyrie, a également tenté d’exiler la tribu de Yéhouda, mais la prière du roi 'Hizqiyahou a été agréée et un grand miracle a permis la destruction de l’armée assyrienne.
Notons que la Guémara (Sanhédrin 94a) offre un argument favorable à propos de l’exil des dix tribus : « Mar Zoutra a dit [que ces tribus ont été exilées] en Afrique ».
Le commentaire de Rachi du verset du prophète ‘Ovadya est moins clair au sujet de "l’exil de Jérusalem" : « Il s’agit de ceux des Judéens qui furent exilés en Espagne ». Cette seconde partie du commentaire du Maître de Troyes laisse place au doute : s’agit-il des Judéens exilés après la destruction du Premier Temple, donc postérieurement aux dix tribus ? Rappelons toutefois que les sources ne parlent que de l’exode des Judéens vers Babylone... Il pourrait aussi s’agir, comme c’est plus vraisemblable, des Judéens exilés suite à la victoire des Romains.
Pourtant le rav Yits'haq Abrabanel affirme que l’exil des « Judéens » est celui qui suivit la destruction du premier Temple : « L’expression "exil de Jérusalem qui se trouve en Sefarad" est très précise, car après la destruction du premier Temple, certains des Bné Yéhouda [NDLR : Et non point des exilés des dix tribus perdues] se sont en effet installés en Espagne emmenés par Pyrrhos3, roi d’Espagne. Il les a installés dans deux contrées : à Lucena, qui était une grande ville d’Andalousie dépendante du royaume de Castille, et dans la région de Tolède, comme j’en ai déjà fait mention à la fin du livre des Rois4 ».
Le prophète reproche à certains peuples, notamment ceux des villes de Tsour et de Sidon au Liban, d’avoir disséminé les enfants d’Israël parmi les Nations (Yoël 2,2 et 4 et 'Amos 1,9-10). Une partie des enfants d’Israël, au moment de l’exil des tribus, a donc été déportée par les Phéniciens. Le circuit de leurs pérégrinations serait bien connu...
En conséquence, la présence de Juifs au Maroc à une date tellement ancienne pourrait s’expliquer comme cette des Juifs d’Espagne, à savoir l’arrivée de Juifs ayant fui de la tribu de Judée suite à la destruction du Premier Temple, et qui n’auraient pas été exilés en Assyrie. Autre possibilité : ce serait des Juifs issus des dix tribus perdues, qui se seraient installés en Afrique du Nord encore plus antérieurement. Cette seconde éventualité faciliterait le travail de ceux qui recherchent encore à ce jour les traces des tribus perdues, même si elle parait sujette à caution aux yeux de beaucoup… Si on la suit sans réserve, cette version signifierait que l’ensemble de ces dix tribus perdues se retrouveraient purement et simplement parmi les Juifs du Maroc ou d’Espagne...
Les preuves réellement tangibles de la présence juive dans ces pays datent plutôt de la période suivant la destruction du Second Temple5 ! On trouve notamment trace d’une personnalité de la stature de rabbi‘Aqiva, visitant les grandes communautés d’Afrique (Roch haChana 26a6).
Plusieurs de nos Sages sont nés à Carthage, donc en Tunisie : rav Yits'haq, rav 'Hanan et rav A’ha7. Notons que ces Sages ont vécu après la destruction du Second Temple.
Le reste repose sur des traditions moins précises. Le rav Y. M. Tolédano en rapporte une voulant que les Juifs vivant du Sahara marocain s’y déjà soient installés du temps du roi Chélomo8, quand leurs ancêtres cherchaient de l’or dans ces parages fréquentés par les marchands phéniciens.
Une autre tradition veut que l’on ait trouvé dans un village du Maroc une stèle où était gravé : « Yoav, le dirigeant de l’armée, a poursuivi jusqu’à ici les Philistins »9. Cet endroit est nommé « 'Hadjr Souliman » (pierre de Chélomo).
Quand Mar Zoutra, dans la Guémara citée plus haut, admet que les dix tribus se sont, au moins partiellement, retrouvées en Afrique – ce qui confirmerait l’avis du rav Abrabanel précité plus haut –, il ajoute que les Juifs ont médit d‘Erets Israël. Arrivés au Sous, ils ont déclaré que cet endroit était aussi valable que leur pays ; ils ont comparé Almin à Jérusalem (cf. Rachi), et ils ont dit qu’un lieu dénommé « Sous double » était deux fois mieux que leur pays d’origine10. Le rav Y. M. Tolédano affirme que cet endroit est situé à l’extrémité sud-ouest du Maroc, et est connu comme étant un site habité dans les temps anciens.
Les Juifs d’Ifrane (ou Oufrane), une ville du Sud du Maroc11, ont une tradition selon laquelle ils descendent de la tribu d’Efraïm, l’une des dix tribus exilées12. Ils seraient même parvenus à établir un royaume, dont le premier souverain s’appelait Avraham haEfrati. Ils auraient refusé d’obéir au prophète ‘Ezra leur demandant de revenir en Terre sainte pour construire le Second Temple et leur souveraineté se serait dissipée avec le temps. Le nom de famille Afriath proviendrait de ce nom de Efrati.
Si nous admettons que des Juifs soient déjà installés au Maroc en des temps si anciens, évoquons à présent le peuple qu’ils y ont trouvé, à savoir les Berbères, qui formaient alors l’un des principaux groupes de population de l’Afrique du Nord.
Rencontre avec les autochtones : les Berbères
En ces siècles-là 13, les Berbères prennent pied en Afrique du Nord, de l’Egypte jusqu’aux îles Canaries, à l’ouest du Maroc, côté Atlantique, arrivant en Espagne, où ils seront désignés comme les Ibères. En Algérie, on les appellera les Kabyles. A leur âge d’or, ils occupent la quasi-totalité de l’Afrique du Nord, des îles de la Méditerranée occidentale et des côtes de l’Espagne, et leur capitale est Carthage.
De nos jours, les Berbères forment encore une partie importante de la population marocaine, et comptent plusieurs dizaines de millions de personnes à travers toute l’Afrique du Nord. Ils ont encore leur culture propre, leur musique spécifique, et combattent pour conserver leur identité. La tendance actuelle de leurs descendants à retrouver leurs racines berbères laisse entendre qu’elles ont fortement été perdues avec le temps et avec les pressions assimilatrices des gouvernements nationalistes arabes de la région.
D’où viennent les Berbères ? La question a fait l’objet de nombreuses recherches, sans qu’une réponse tranchée n'ait pu être apportée.
Le nom de « Berbères » qui leur est attribué ne permet pas d’identifier leur origine : il provient du grec « barbaroï », qui donne Barbares en latin, et Berbère en français, et signifie « gens dont on ne comprend pas la langue14 »…
On admet souvent que ces envahisseurs n’étaient autres que des Phéniciens, marins valeureux qui s’étaient déployés dans toute la Méditerranée pour y installer des comptoirs commerciaux. Leur capitale de l’époque, Carthage, fut détruite par les Romains en -149, avant d’être reconstruite par César et détruite à nouveau par les Vandales en 440. Elle retrouvera sa gloire grâce à Justinien, mais finira par tomber en désuétude. Son site archéologique se trouve à proximité de Tunis.
D’où provenaient les Phéniciens ? Leur terre natale se situe au Liban, à Sidon et à Tyr. Il s’agit en fait de l’une des peuplades cananéennes, pratiquant le culte du Ba’al et de la Astéra (les principales divinités païennes citées par la Tora !). Ce qui caractérise la religion punique, c’est le rôle important qu’y jouent les sacrifices, et plus particulièrement les sacrifices humains d’enfants : régulièrement, et très fréquemment en temps de troubles, avait lieu le "Molok", c’est-à -dire le sacrifice d’enfants par le feu. Leurs cendres étaient ensuite recueillies dans des urnes et mises en terre. Les fouilles ont permis d’en exhumer des milliers dans le "Tofeth", sanctuaire sacrificiel de Carthage.
Quelles pistes permettent d’affilier les Berbères aux Phéniciens L’une des principales indications se trouve dans le récit de Procope15 : la conquête de la Terre Promise par Josué avait provoqué le départ des peuples qui occupaient le littoral. Ceux-ci, après avoir tenté de s’établir en Égypte qu’ils trouvèrent trop peuplée, se dirigèrent vers la Libye qu’ils occupèrent jusqu’aux Colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) et où ils fondèrent un grand nombre de villes. Procope précise : leur descendance y est demeurée et parle encore la langue des Phéniciens. Ils construisirent aussi un fort en Numidie, à l’endroit où s’élève la ville de Tigisis16. Là , près de la grande source, on voit deux stèles de pierre blanche portant une inscription gravée en langue punique avec des lettres péniciennes, et dont le sens est : « Nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du brigand Josué (= Yéhochoua‘) fils de Navé » (II, 10, 22)
Cette hypothèse généalogique s’appuie aussi sur une autre donnée dont nous trouvons la trace dans une lettre de Saint Augustin17, un siècle plus tôt. Il écrit : « Demandez à nos paysans qui ils sont : ils répondent en punique qu’ils sont des Chenani. Cette forme corrompue par leur accent ne correspond-elle pas à Chananaeci (Cananéens) ? »18
Ibn Khaldoun19 lui-même prend fermement position en faveur de ce qu’il appelle « le fait réel, fait qui nous dispense de toute hypothèse... : les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé, ainsi que nous l’avons déjà énoncé en traitant des grandes divisions de l’espèce humaine. Leur aïeul se nommait Mazigh ; leurs frères étaient les Gergéséens (Agrikech) ; les Philistins, enfants de Casluhim, fils de Misraïm, fils de Cham, étaient leurs parents. Le roi, chez eux, portait le titre de Goliath (Djalout). Il y eut en Syrie, entre les Philistins et les Israélites, des guerres rapportées par l’Histoire, pendant lesquelles les descendants de Canaan et les Gergéséens soutinrent les Philistins contre les enfants d’Israël. Cette dernière circonstance aura probablement induit en erreur la personne qui représenta Goliath comme Berbère, alors qu’il était un Philistin, donc parent des Berbères. On ne doit admettre aucune autre opinion que la nôtre ; elle est la seule qui soit vraie et de laquelle on ne peut s’écarter20. »
Il est en vérité difficile d’identifier plus précisément la filiation entre les diverses peuplades cananéennes dont nous parle la Tora, et les nations qui furent issues ; il n’est pas non plus aisé de savoir à quel peuple spécifique, parmi les peuplades cananéennes, s’apparentaient les Phéniciens.
Il est admis en général qu’il s’agit des Prizi, qui habitaient au Nord d‘Erets Israël, où se trouve l’actuel Liban.
L’un des rois célèbres de ce peuple était 'Hiram, qui a participé à la construction du Temple du roi Chélomo21.
Notons que nos Sages marocains, quand ils parlaient des Berbères, employaient l’expression de « Phlichtim », Philistins… Serait-ce qu’ils connaissaient une autre tradition à leur égard, les situant bien plus vers le Sud d‘Erets Israël, entre Ashdod et Ashkelon.
Toutefois les historiens juifs n’hésitent pas à corréler l’exode de ce peuple désigné plus tard comme étant le peuple berbère avec ce que dit le Midrach (Wayiqra Rabba 17,6) : « Trois propositions ont été envoyées par Yéhochoua‘ à ces peuplades : celui qui veut partir, qu’il le fasse ! Celui qui veut faire la paix, qu’il la fasse ! Celui qui veut la guerre, il l’aura. Le Girgachi 22 (les Gergéséens) s’est levé et est parti de lui-même ; il a reçu en conséquence une terre belle comme la sienne, comme le dit le verset (Yecha'yahou/Isaïe 36) : "Jusqu’à ce que je sois venu et vous ai amenés à une terre comme la vôtre" – c’est l’Afrique… ».
Selon la Tossefta (Chabbath chap. 7), c’est du Emori dont il s’agit ; le texte les qualifie de « peuplade modérée », et explique qu’ils ont « cru en D. » et sont partis. Il fallait en effet accepter la menace de Yéhochoua' et croire en ses paroles pour tout abandonner et aller s’installer sous d’autres cieux.
Quoi qu’il en soit, les autochtones rencontrés par les premiers Juifs installés au Maroc sont vraisemblablement issus de l’une ou l’autre des tribus cananéennes qui auraient quitté la Terre Sainte à l’arrivée de Yéhochoua', et qui se seraient retrouvées en Afrique du Nord, formant le peuple ce que l’on désignera globalement sous le nom de Berbère.
Bibliographie
Nous avons essentiellement suivi les ouvrages suivants pour rédiger le présent chapitre, non sans nous référer aux connaissances que les diverses encyclopédies électroniques proposent de nos jours :
- « Deux mille ans de vie juive au Maroc », de ‘Hayim Zafrani, Maisonneuve & Larose, Paris 1998.
- « Ner haMa’arav, Toldoth Israël beMarocco » (La lumière de l’Ouest, historique d’Israël au Maroc), du rav Ya’aqov Moché Tolédano (qui a été ministre des Cultes en Israël), édition de 1931 reprise par le Makhon Bené Yissakhar en 1989.
-« Les Juifs d’Afrique du Nord », d’André Chouraqui (PUF 1952).
- « Toldoth haYehoudim beAfriqa hatsefonith » (L’histoire des Juifs en Afrique du Nord), de H. Z. Hirschberg, éditions Bialik, Jérusalem 1965. Notons ici que cet auteur critique très fortement l’une des sources principales du rav Tolédano, le « Toldoth Yéchouroun », qui est un vieux livre datant de 1817 et qui rapporte de nombreuses légendes sans base historique établie.
- « Toldoth Yehoudé Marocco » (Histoire des Juifs du Maroc), d’Avraham Stahl, Jérusalem 1979.