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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 04 juin 2012 : 17:07


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Chapitre 6 : Les nuits de ramadan à Halfaouine
Chapitre 7 : Qui est Kaddour Ben Nitram
Chapitre 8: Le petit coiffeur de Sidi Bou Saïd
Chapitre 9: La calèche de la Kouba
Chapitre 10: Les Martyrs de Carthage
Chapitre 11: Promenades goulettoises
Chapitre 12: Youssef le petit chamelier de Douz

AVANT PROPOS

Parler de la Tunisie sans passion, que l’on y soit né comme moi ou pas, est-ce encore possible ?

Ces derniers mois nous ont plongés dans la plus grande incertitude, ils nous ont placé sur le grill, mis nos nerfs à vif ; nous sommes passés de l’enthousiasme au coup de ‘blues’, de l’espoir à la déception, de l’euphorie au regret.

Ce que les Tunisiens ont fait est admirable, par leur protestation tranquille et pacifique ils ont entrouvert aux peuples la porte de l’espérance. Malheureusement la jeunesse fière et courageuse avait trop d’avance sur le reste du pays et ce qu’elle a laissé entrevoir, doit être cultivé et soutenu.

Ces quelques lignes parlent d’une époque, où ce beau pays ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui, mais tous les personnages qui se meuvent dans ces histoires naïves ont contribué à le faire devenir un peu ce qu’il est aujourd’hui.

Les couleurs, les odeurs, les goûts imprègnent à tout jamais la mémoire disait Proust, elles imprègnent aussi la terre ; tous ces voyageurs occasionnels qui se déversent chaque année par milliers pour bénéficier d’un pays accueillant ont eu un furtif aperçu de la générosité de cette terre.

La beauté comme son contraire la laideur, sont difficiles à décrire, rien ne peut être exclusivement beau ou exclusivement laid. Mais il y a tant de belles choses à voir que le voyage auquel je vous invite va vous paraître sorti d’un rêve enfantin. Je prends ici à témoin les amis qui liront ces lignes et qui comme moi ont serpenté les rues et les chemins de Tunisie.

J’ai choisi le parti pris de raconter mais aussi de faire connaître, tout ce qui est écrit n’est pas complètement vrai, au sens où tous les personnages n’ont pas forcément existé, mais l’histoire avec un grand H n’est pas falsifiée, tous les lieux existent et chacun peut s’y rendre, à condition de s’extraire des guides touristiques, ou se débarrasser des attitudes parnurgiennes qui envahissent les groupes.
L’itinéraire que je propose est sans doute insolite, mais il entraîne l’ami lecteur sur les chemins de traverse.

Un personnage a déclaré un jour de façon lapidaire :’ la France on l’aime ou on la quitte’ ; alors permettez-moi de dire ‘la Tunisie on continue à l’aimer même lorsqu’on l’a quittée’.

Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 04 juin 2012 : 17:08

Lycée de Carthage.


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CHAPITRE 1

De l’autre côté du Boukornine


- aujourd’hui j’ai feuilleté mon album de photos de l’époque où, petite fille je partais avec toute ma famille en pique-nique sur le Boukornine
- vous dites le Boukornine, n’était-ce pas cette montagne que l’on voyait depuis Carthage et qui ressemblait à un volcan ?
- oui bien sûr, de loin on aurait dit un volcan mais connaissez-vous les secrets de cette montagne

Le Boukornine est la montagne la plus célèbre de Tunis et de ses environs, parce qu’elle recèle un certain mystère.

Longtemps l’imaginaire populaire en a fait un volcan, tant sa forme, vue de loin donne l’impression d’une montagne volcanique terminée en son sommet par une sorte de cratère.

En fait il s’agit d’une montagne tout à fait normale terminée par deux sommets dont l’un culmine à 576 mètres et l’autre à 493 mètres.
Les tunisiens l’appellent en arabe dialectal le Dgebel Bou Garnine ce qui signifie la montagne aux deux cornes, plus tard il prend la double orthographe Boukornine ou Bou Kornine.

Pour les phéniciens le Bou Kornine était la montagne sacrée appelée ‘Ba’al Karnine’ le dieu aux deux cornes, il semblerait que des sacrifices humains aient eu lieu entre les deux sommets.Les romains ont transcrit le terme phénicien en ‘Bacaranensis’

Le Boukornine surplombe la ville d’Hammam Lif, qui tire son nom des deux sources émergeant au pied du Boukornine. Les romains l’appelaient Aquae Persianae, rebaptisée Hammam Lif après la conquête arabe, de Hammam (bains) et anf (nez), car les sources avaient la vertu de soigner les problèmes respiratoires. C’est à Hammam Lif que le Bey avait fait construire sa résidence d’été près de l’une des deux sources à laquelle on a donné le nom d’Aïn El Bey ( la source du Bey).

Le Boukornine domine de sa masse imposante le golfe de Tunis ; au printemps le promeneur qui arpente ses frais sentiers, reçoit en cadeau divin la délicate odeur des cyclamens sauvages. Au pied de la montagne de jeunes vendeurs vous offrent non seulement les bouquets odorants des cyclamens, mais également les bouquets d’asperges sauvages au goût incomparable. Devenu Parc National, le Boukornine est doté d’une grande variété de fleurs comme les orchidées, les tulipes sauvages, les gouttes de sang et de nombreuses espèces d’animaux : les sangliers, les chacals, les chats sauvages, les lièvres, les tortues terrestres et divers types de serpents.

Cette surprenante et mystérieuse montagne incite à la rêverie et à l’imagination, c’est pourquoi le Boukornine, bien malgré lui, a donné naissance à ces nouvelles pas tout à fait vraies, mais pas entièrement fausses.

De La Goulette à La Marsa, si on pose le regard sur l’immense étendue bleue de la mer, l’horizon dessine une terre faite de collines avec en son milieu une colline plus haute que les autres, terminée par deux petits sommets.

Rachid le garde forestier du Boukornine faisait son inspection quotidienne, lorsqu’il aperçut dans les fourrés une forme sombre qui semblait attendre ainsi à l’affût d’on ne sait quoi. Il s’approcha prudemment sans un bruit et il vit détaler un magnifique lièvre. Ces rencontres sur les pentes du Boukornine était chose courante. Ce jour là intrigué plus qu’à l’accoutumée, ou simple curiosité, il suivit la piste empruntée par l’animal. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit dans un détour du sentier derrière un petit buisson le lièvre qui semblait l’attendre. D’habitude les lièvres lorsqu’ils

détalent se dépèchent de retrouver leur terrier ou un trou de fortune faisant perdre à jamais leur trace. Rachid voulut en savoir davantage. Lorsqu’il s’approcha le lièvre recommença son manège. De plus en plus intrigué le garde forestier sans même s’en apercevoir suivit l’animal.

Rachid marchait dans les maquis depuis bientôt une heure, lorsqu’il vit briller un objet comme si quelqu’un avait laissé traîner un tesson de bouteille. Il s’en approcha et il découvrit presque entièrement enterré une sorte de récipient recouvert de terre qui avait durci  ; toutefois à un ou deux endroits, on voyait apparaitre une petite partie polie qui billait au soleil. Il déterra l’objet sans parvenir à comprendre le lien qu’il pouvait y avoir entre cet objet et la présence du lièvre en ces lieux. En même temps il essaya de s’orienter et il s’aperçut qu’il avait franchit le sommet et qu’il était légèrement descendu sur l’autre versant celui qui offre une vue splendide sur Hammam-Lif.

Le garde forestier revint sur ses pas, le lièvre avait disparu. De retour chez lui il fit part de sa découverte à un voisin français qui l’avait aidé dans ses démarches auprès de l’office des forêts, pour son emploi de garde.

Après avoir retourné le récipient dans tous les sens et n’ayant pu déterminer ni la fonction, ni l’origine de l’objet, on décida de le porter au commissariat, là sans doute on saurait s’adresser à quelqu’un de compétent.

Mais ce qui continuait d’intriguer Rachid était cet incroyable coïncidence entre la vue de l’animal et la découverte de l’objet.
Pour l’animal les choses étaient simples. Le lièvre avait son terrier non loin de l’endroit ou avait été trouvé le récipient ; par mégarde il s’en était considérablement éloigné, il se rapprochait donc de son trou en tenant l’homme à distance, tout en le surveillant.

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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 05 juin 2012 : 16:45

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Pour l’objet les investigations furent longues et difficiles.

Il finit par être pris en charge par le professeur de latin du Lycée de Carthage qui outre le fait d’être un excellent latiniste, faisait des recherches sur la vie quotidienne à Carthage à l’époque romaine. Tous les élèves se souviennent des expositions qu’il organisait avec toutes les pièces trouvées sur le site.

Au cours d’une de ces expositions parmi les objets les plus divers lampes à huile, poteries, ustensiles domestiques, bijoux, pièces de monnaie on vit une urne en verre aux formes irrégulières, non pas le verre translucide que nous connaissons mais un verre plutôt mat, tout a fait opaque avec des reflets irrisés, cet objet était présenté comme une urne funéraire d’un très jeune enfant, objet extrêmement rare.

Enfoncée dans le sol l’urne avait été complètement obturée et la terre avait formé tout autour une couche compacte. Débarrassée de sa gangue de terre, l’urne apparaissait dans son aspect originel sorte de cruche aux larges bords, ornée de deux anses.

Autre énigme, comment cette urne avait-elle pu se retrouver sur le Boukornine à plusieurs kilomètres de la ville romaine ?

On raconte que les Carthaginois adoraient Tanit déesse de la fertilité, pourtant il fallait calmer le courroux de leur principal dieu Ba’al-Hammon; c’est pourquoi selon le rite de Tanit et de Ba’al il fallait pratiquer sur le Boukornine des sacrifices d’ enfants, ce rite s’appelait le molk. En général on incinérait les jeunes sacrifiés sauf les enfants de notables dont les ossements étaient rassemblés dans des urnes en terre.

Lorsque Rome remporta la victoire décisive au cours de la troisième guerre punique, sur le sol de sa rivale Carthage, elle détruisit entièrement la ville, il est possible qu’un soldat romain au cours d’une inspection sur la colline, trouva l’objet funéraire, sans doute plus mésirécordieux que d’autres, il transféra les restes dans une urne de verre (récipient utilisé par les romains comme urne funéraire non pas lors d’un sacrifice, ils ne pratiquaient pas les sacrifices humains, mais d’un décès d’enfant) et se rendit à nouveau au sommet du Boukornine la montagne sacrée et vénérée par ses ennemis pour l’y déposer, afin que la mémoire de cet enfant puisse se perpétuer dans le rite de ses ancêtres.

Cette histoire est-elle vraie, sans doute pas, mais j’aurai tant aimé qu’elle le soit.

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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 06 juin 2012 : 12:25

Lycée de Carthage.

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CHAPITRE 2

L’inconnue du Saf Saf

- hier j’ai rencontré une amie que je n’avais pas vue depuis longtemps.
- vous l’avez connue en France ou en Tunisie ?
- oh c’était il y a bien longtemps, elle était comme moi élève au lycée de Carthage, et je me souviens que le samedi nous allions à la plage à La Marsa.
- vous ne me croirez pas, moi aussi j’ai rencontré une amie de Carthage, elle m’a raconté une histoire surprenante qui s’est peut-être passée à La Marsa au Saf Saf. Vous connaissez le Saf Saf ?
Qui n’a pas connu le Saf Saf n’a rien connu de plus merveilleux de plus étrange et de plus envoûtant.

A l’origine, c’était une une sorte de caravansérail qui accueillait les voyageurs de passage. Plus tard il fut tansformé en café maure, avec des bâtiments qui enserraient une cour intérieure, au centre de laquelle il y avait un puits.

Sous le règne des Hafsides, les caravaniers en route pour Tunis venaient puiser de l’eau pour désaltérer les hommes et abreuver les bêtes. Dans la cour se prélassaient sur des bancs de pierre, les marchands venus faire des affaires, profitant du calme de ce lieu pour boire un ‘legmi’ fraîchement récolté (le legmi est un lait de palme qui devient très vite un vin de palme pétillant et légèrement alcoolisé, pour respecter le coran il fallait le boire avant la fermentation), tout en fumant le narguilé que les arabes appellent ‘shicha’. La fraîcheur légendaire du Saf Saf était due à un peuplier trois fois centenaire, situé près de la source ; c’est cet arbre qui a donné le nom au café.

Et puis, au fil du temps, le Saf Saf fait sa toilette, de très belles mosaïques orientales sont apposées sur les murs des bâtiments, le café se structure ; le puits qui servait occasionnellement aux caravanes devient la vedette. Sous l’impulsion de son propriétaire Cheik Bahri une noria est installée ( la noria est une machine hydraulique connue des romains qui permet de remonter l’eau d’un puits ou d’une rivière). Chacun se rappelle des outres en peau de bouc qui inlassablement, déversaient leur chargement d’eau ; on a parfois remplacé les outres par des gargoulettes.

L’eau est-elle si bonne ou bien a-t-elle des vertus particulières ?

Nul ne peut l’affirmer même si le Saf Saf a donné lieu, à bien des légendes ; en fait le Saf Saf étant situé non loin de la plage l’eau est très légèrement saumâtre.

Pour rendre l’endroit enchanteur et hors du temps, on a trouvé un moyen qui date du moyen-âge et même de l’époque romaine : la noria ; pour actionner la noria on utilise une chamelle qui tourne inlassablement autour du puits, les yeux bandés par deux cônes de halfa tressée afin de ne pas attrapper le tournis, ou bien lui faire croire qu’elle suit une caravane dans le désert.

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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 07 juin 2012 : 12:04

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Le Saf Saf n’est pas que cela, c’est aussi un agréable restaurant à la cuisine simple et succulente, dans la plus pure tradition tunisienne.

Dans les années 50 (1950) le principe était simple, le café fournissait aux clients les boissons et des cuisiniers indépendants installaient de part et d’autre du couloir d’entrée des tables sur lesquelles ils avaient disposé des feux ; c’est là qu’ils faisaient bouillir des marmites odorantes dans lesquelles mijotait l’extraordinaire ‘ chorba’ (soupe de viandes de poulet ou d’agneau aux pâtes agrémentée de différentes épices), d’autres avaient des bassines d’huille bouillante où ils préparaient les’fteirs’ (les fameux beignets tunisiens), les briks à l’œuf ou à la pomme de terre, ou encore les bambalouni (beignets au sucre).

Certains proposaient à leurs clients des spécialités comme le ‘kaftéji’ (viandes et d’abats cuits dans l’huile accompagné de légumes frits), enfin pouvait-on aller au Saf Saf sans avoir dégusté le si fameux casse-croûte tunisien ou le non moins fameux fricassé ?
Bref le Saf Saf était ce havre de bonheur qui rendaient les fins d’après-midi et les soirées d’été particulièrement agréables. Et la chamelle qui tournait.

A propos de chamelle, une anecdote savoureuse lui est définitivement attachée, la première chamelle était blanche et s’appelait Fethia, et toutes ‘ces belles tournantes’ , c’est ainsi que l’on désignait l’animal, au fil du temps se sont appelées et s’appellent encore aujourd’hui Fethia et sont toujours blanches. Si bien, que si vous revenez au Saf Saf bien des années après, il semble que rien n’a changé.

Les Beys de Tunis avaient coutume d’entrer au Saf Saf à cheval entourés de leur cour ; on abreuvait le cheval à l’eau du puits, puis on tendait une timbale d’argent au monarque ; selon une vieille légende boire l’eau du puits était pour l’homme et la bête l’assurance d’être fort et vigoureux toute l’année.

Dans la période post coloniale le Saf Saf a ajouté à ses activités, celle de cabaret où se sont produits les plus célèbres chanteurs et compositeurs tunisiens. Dans les interminables soirées de ramadan les chanteurs de malouf faisaient la joie des spectateurs.

C’était vers la fin du mois de juin, Aziz s’était allongé sur la colline à l’ombre d’un figuier, son âne broutait les rares touffes d’herbe desséchée par le soleil. Ce matin très tôt Aziz était parti de la campagne de son père pour livrer les légumes au marché : de très beaux poivrons, des tomates bien mûres et quelques courgettes.

Comme par réflexe, Aziz se redresse, pour surveiller son âne, son regard se porte vers la mer où il croit apercevoir une voile à l’horizon ; il pose la main sur le front pour se protéger de la clarté qui l’empêche de mieux observer l’étendue d’eau ; en effet une voile latine s’approche de la côte, Aziz poursuit son observation car petit à petit se dessine un bateau, non pas l’une de ces barques de pêcheur que l’on tire sur le sable le soir après la pêche, mais une galère, bientôt l’horizon se remplit de voiles qui approchent.

Ce sont des bateaux importants ; Aziz n’en a jamais vu autant, tous se dirigent vers la baie de La Marsa, qui s’est appelée autrefois Mers (qui veut dire port en arabe). La première galère est désormais à quelques coudées de la plage de sable fin, les hommes descendent une chaloupe sur laquelle prennent place des hommes richement habillés, des autres bateaux des chaloupes sont mises à la mer, Aziz y voit descendre ce qu’il pense être des soldats car ils portent des casques qui brillent au soleil.

Mais son inquiétude grandit quand il voit débarquer des dizaines de chevaux qui portent un harnachement inhabituel.

A quatre pattes Aziz rejoint son âne et très discrètement s’éloigne des bords de la colline donnant sur la mer.

Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 09 juin 2012 : 10:48

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Aziz ne saura jamais ce que venaient faire là, ces bateaux, ni les raisons de la présence de ces soldats et de leurs commandants.

Alors que les marins, à bord des galères s’affairaient à remonter les chaloupes et à enrouler les cordages, la troupe avait retrouvé la terre ferme. Chaque homme après avoir récupéré son cheval, s’était placé en bon ordre, après des semaines de navigation en méditerranée, il fallait rejoindre le casernement de Borj El Kebir dans le Palais de La Rose quartier de commandement de la cavalerie beylicale autrefois installé là par le Général Kheiréddine Pacha.

Un autre convoi s’était formé avec quelques dignitaires qui entouraient Ali Pacha Bey, le monarque devait se rendre à Dar El Tej le palais d’été que le Bey s’était fait construire un an auparavant à La Marsa. Nous sommes en 1856 et le Bey de Tunis vient de livrer bataille dans la guerre de Crimée aux côtés des Ottomans, des Britanniques et des Français contre la Russie.

Un carrosse est venu attendre le souverain, d’autres attelages tout autant prestigieux prennent en charge les membres de la cour. L’un deux s’arrête devant trois femmes entièrement voilées de soieries délicates, elles montent et un officier referme aussitôt la portière. Que ces trois femmes aient pu faire un si long voyage avec autant d’hommes de guerre, intrigue, mais personne ne se risquerait à interroger un compagnon de combat de peur d’être dénoncé au Bey.
Une demi-heure après Ali Pacha Bey retrouve son palais de Dar El Tej. Après un an d’absence du souverain, le palais reprend son animation, on a déjà préparé le retour du Bey ; les cuivres brillent tout autant que les meubles et les dorures, les couleurs des somptueux tapis ont été ravivées, pas une bougie ne manque dans les immenses candélabres, et dans certaines pièces les domestiques s’affairent encore.

La salle du trône a été préparée, des bouquets de jasmin embaument, il est vrai que le jasmin est la fleur préféré du Bey ; ce soir Ali Pacha prononcera un discours devant ses ministres pour faire un récit des batailles notamment pendant le siège de Sébastopol.

Dans un pavillon voisin, les mystérieuses femmes voilées, s’installent, des ordres ont été donnés pour qu’elles disposent du meilleur confort. Qui sont ces trois inconnues, l’une s’appelle Leila, Leila Rahmar, elle était circassienne, fille d’un chef de tribu du Caucase rencontré sur le théâtre des opérations en Crimée, elle est accompagnée de ses deux servantes Baddia et Ilehm.

On ne sait si ce sont des prises de guerre, car aux côtés des troupes russes adversaires de la coalition ottomane et européenne, des caucasiens avaient été enrôlés en nombre, ou bien des jeunes filles issues de tribus amies, envoyées à la cour de Tunis pour parfaire leur éducation religieuse, La Zitouna de Tunis n’est-elle pas l’une des plus importantes universités coraniques du monde ?

La fatigue du voyage, la découverte d’une terre inconnue, la chaleur moite de l’air firent qu’elles s’endormirent dans le profond sofa qui occupait l’un des côtés du salon. Le lendemain dès l’aube les trois jeunes filles sont réveillées par le muezzin qui lance son appel à la prière d’une mosquée voisine.

Bientôt, le pavillon s’anime, deux femmes habillées à la mode tunisienne s’approchent de la belle odalisque et de ses compagnes et leur demandent si elles souhaitent faire leur prière dans le salon ou dans la salle de prière du palais beylical réservée aux femmes. Malheureusement le parler arabe tunisien n’est absolument pas compréhensible pour les trois jeunes femmes ; certes elles comprennent l’arabe coranique à travers leur lecture du livre sacré ; mais l’arabe courant est éloigné de la langue et des dialectes des Tcherkesses plus généralement appelé l’adyguéen (l’adyguéen est une des langues parlées par les tribus tcherkesses en Circassie).

Avec quelques mots empruntés au coran et quelques gestes tout le monde finit par se comprendre. Après la prière, deux autres domestiques arrivent pour la toilette, celle-ci doit être complétée, en effet les ablutions qui précèdent la prière ne sont qu’un rite religieux et non une vraie toilette. Leïla, Badia et Ilhem s’y soumettent de bonne grâce ; puis vient l’heure du petit déjeuner. Dans le Caucase on consomme un lait de jument fermenté et du beurre rance passé sur des galettes, parfois même du poisson fumé ; à la cour beylicale le matin on prend un café turc, un thé et parfois même du chocolat mousseux, Leïla comprit qu’il fallait désormais apprendre à vivre autrement, mais la richesse et le confort du lieu permettaient d’envisager ces changements avec moins d’appréhension.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 10 juin 2012 : 22:43

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Dans l’après-midi on annonce la venue du Bey dans le pavillon. Celui-ci entre accompagné d’un homme portant une énorme moustache. Habituellement, la coutume exige qu’une femme musulmane ne retire pas son voile devant un étranger, mais devant le bey qui a rang de roi, Leïla ne porte pas le voile à son visage.

Elle est surprise lorsque l’homme qui accompagne le bey s’adresse à elle en langage tcherkesse. Il faut préciser que le Général Khéreddine Pacha, commandant en chef des troupes beylicales quelques années auparavant, était circassien ; il avait fait venir à Tunis des hommes qui appartenaient aux tribus de cette région. La plupart étaient restés en Tunisie comme l’homme qui servait d’interprète au Bey.

La décision fut prise d’enseigner l’arabe dialectal à Leïla et ses compagnes, puis celles-ci seraient engagées dans le harem royal.

Avant de repartir le Bey regarda avec insistance dans la direction de Leïla, la beauté de la jeune circassienne le frappa, c’est sans doute à ce moment là qu’il décida d’en faire l’une de ses épouses.

Quelques mois passèrent, Leïla parlait désormais l’arabe dialectal, elle était une bonne musulmane, elle se rendait aussi à la mosquée. Ali Pacha Bey n’avait en rien renoncé à son projet de mariage. Celui-ci fut décidé pour le printemps.

Bien qu’elle soit la dernière épouse dans l’ordre du temps, La jeune femme était très remarquée pour sa beauté et son intelligence. Elle finit par gagner des privilèges comme celui d’accompagner le Bey au Saf Saf. Pour que le monarque se repose de sa courte chevauchée, on avait disposé dans l’un des bâtiments du Saf Saf un petit salon où le Bey venait prendre ses rafraîchissements, il y était rarement accompagné de courtisans, mais Leïla avait pris l’habitude de lui tenir compagnie.

La vie au palais était paisible, mais un peu ennuyeuse ; lorsqu’elle ne devait pas se soumettre à un acte officiel, Leïla lisait beaucoup, on lui avait appris le Français qui était une langue très prisée à la cour et elle s’était essayée aux auteurs français.

De l’autre côté du palais on parlait plutôt de politique ; le budget du royaume était mal en point, la guerre de Crimée n’avait rien arrangé, l’argent manquait et l’on chuchotait que des puissances étrangères (les Britanniques, les Français et les Italiens) pourraient intervenir.

Moulay le fils cadet du Bey intriguait contre son frère et son père. C’était un très bel homme qui avait été instruit à l’école militaire de Paris, il parlait plusieurs langues et on le disait très intelligent.

Un jour qu’il accompagnait son père au Saf Saf , il se retrouva par hasard non loin de Leïla, elle fut éblouie par la beauté du jeune homme, elle fit un geste maladroit qui découvrit une partie de son visage, Moulay à son tour tomba sous le charme de la jeune femme.

Le soir, une fois de retour au palais chacun eut du mal à s’endormir. Mais cet amour naissant était impossible à s’accomplir. Moulay envoya néanmoins des émissaires afin d’échanger quelques messages auxquels il fut répondu tout aussi discrètement. Bref on ne sait si Leïla encouragea ou pas son prétendant à lui déclarer sa flamme, le fait est que chacun savait très exactement ce que pensait l’autre.

Un jour Leïla fit la demande au bey de se rendre au bazar pour y acheter des pièces de soie venues semble-t-il de Chine ; la coutume ne permet pas à une femme de quitter le harem. Mais le Bey ne pouvait rien refuser à son épouse préférée.

Leïla accompagnée de ses deux servantes se dirigea vers le bazar mais quelques rues plus loin, elle prit la route du Saf Saf. A l’entrée on fit savoir à la belle inconnue que le Prince Moulay l’attendait dans le salon réservé à la famille beylicale.

L’entretien fut extrêmement courtois. Leïla ne découvrit pas son visage et Moulay dit qu’il respecterait les usages de la cour, tout en lui déclarant un amour éternel.

Les visites au Saf Saf de l’inconnue furent peu nombreuses et les entretiens toujours aussi courtois et surtout, toujours aussi platoniques.

Cela faisait trois ans que Leïla la belle circassienne était arrivée en Tunisie. L’automne 1859 commença par de fortes pluies et un vent très violent. Depuis le Conseil de La Régence on apprit qu’Ali Pacha Bey était au plus mal, effectivement le Bey s’était alité, frappé d’un mal que les médecins ne surent découvrir, au tout début de novembre, le pays fut déclaré en deuil pendant trois jours, le bey de Tunis Ali Pacha Bey venait de mourir.

La succession a toujours été un sujet délicat et épineux à Tunis. Certes la cour beylicale avait adopté la loi salique et la loi de primogéniture masculine, en fait celle-ci se résumait au principe de masculinité au sein de la famille et de la dynastie. Mais chacun sait que les choses ne se passaient pas toujours ainsi. Au palais du Bardo, la famille semble réunie, mais parmi les cadres de l’armée un sentiment pro Moulay monte n’est-il pas un des leurs puisqu’il a toujours été un de leurs commandants. Après le deuil national, le Conseil de Régence se réunit et décide après une très forte pression des militaires, de désigner Moulay Idriss Pacha, Bey de Tunis.

L’avènement de Moulay n’est pas considéré comme un coup de force puisque le trône reste à la dynastie créée par le lointain aïeul Hussein. D’autre part depuis la nomination de Mourad 1er Bey fondateur de la dynastie mouradite dans cette très lointaine année 1613, le diwan instance suprême dans l’empire ottoman, placée sous l’autorité du sultan d’Istanbul n’exerce plus sa prééminence sur le Bey de Tunis.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 12 juin 2012 : 17:13

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Le Palais du Bardo est en fête, les lions monumentaux qui ornent le grand escalier de l’entrée sont rehaussés de drapeaux aux couleurs du Bey, sur le toit du palais flotte l’immense pavillon aux couleurs rouge et verte, dans la médina, on a baissé le rideau, et dans les rues se presse une foule endimanchée. Pour Tunis c’est jour de fête.

Moulay Pacha Bey est désormais installé, sa gloire naissante ne lui a pas fait oublier la belle Leïla, qui demeure comme les autres veuves de Ali Pacha, au Palais El Tej à La Marsa. La tradition voulait que le nouveau Bey se construise un autre palais pour ne pas gêner les veuves de son prédécesseur.

Moulay en construisant un pavillon annexe pour les veuves et en gardant le palais pour lui-même, innova, en même temps il était poussé par les circonstances, car les caisses du trésor étaient vides.

Une seule femme fut autorisée à rester, c’était la belle circassienne Leïla, dernière femme du précédent Bey. Ce fut aussi la première épouse du nouveau Bey.

Le couple ainsi formé, était beaucoup mieux assorti, d’abord en raison de l’âge à quelques mois près, les deux époux avaient le même âge, ensuite par le goût de la modernité qu’ils avaient en commun. Ils parlaient tous deux français, ce qui permettait à la cour de ressembler aux cours européennes les plus raffinées qui avaient adopté la langue française ; enfin pour le plaisir renouvelé de se retrouver ensemble au palais de la Marsa et parfois au Saf Saf.
La vie s’écoula ainsi de manière paisible et lorsque Moulay Idriss épousa d’autres femmes, comme la coutume l’imposait, il laissa à Leïla le soin de gérer au mieux le harem.

Moulay consultait souvent son épouse de cœur, quand une décision importante exigeait une longue réflexion. La fin des années soixante et les années soixante-dix furent importantes pour le royaume.
L’insouciance et l’incurie des Beys successifs avaient ruiné le pays, Moulay bien qu’ayant augmenté considérablement les impôts ne put éviter la banqueroute de l’Etat qui fut prononcée en 1869, une commission internationale formée de l’Angleterre, de la France et de l’Italie fut désignée pour gérer le budget du royaume.

Ceci donna aux deux pays les plus proches : l’Italie et la France l’occasion de se livrer à une forte surenchère. L’Italie depuis le XVIIIème siècle renforçait son influence en Tunisie, celle-ci lui était disputée par la France qui appuyée par l’Angleterre souhaitait conserver la maîtrise du passage entre la méditerranée orientale dans laquelle se trouvait le canal de Suez récemment percé, et la méditerranée occidentale qui conduisait au détroit de Gibraltar.

Moulay Pacha Bey fut obligé d’arbitrer entre les grandes puissances.

A la fin des années 70, alors que la colonie italienne comptait près de 50 000 âmes contre moins de 10 000 français, suite à des révoltes non réprimées à la frontière algérienne et dans la région de Kairouan, le Bey en appelle à la protection de la France. En 1881 un traité est signé entre la France et le Bey de Tunis donnant à la France le rôle de protecteur ce fut le traité du Bardo. La Tunisie devint protectorat français.

Le Bey conserva ses attributs de monarque mais la souveraineté fut déléguée à La France.

Le Bey vécut toutes ces années dans un profond désarroi, lui le soldat, le combattant, sentait bien le pouvoir lui échapper, mais il était incapable d’affirmer son autorité.

Au palais, les rencontres, les discussions, les conseils se multipliaient, les émissaires des puissances voisines se présentaient sans discontinuer. Ce fut une période d’intense activité diplomatique. Le Bey était occupé et soucieux. Il délaissa sa Leïla, seuls quelques moments de calme permettaient une visite au Saf Saf ; le salon aux profonds sofas n’avait pas été modifié, seuls les coussins avaient été quelque peu rafraichis.

Les visites devinrent peu à peu protocolaires ; la passion des toutes premières années avait peu à peu disparu.

Léïla était une femme mûre, la très jeune odalisque débarquée sur la plage de La Marsa, quelques vingt trois ans plus tôt avait acquis l’assurance d’une femme exerçant un réel pouvoir. On lui demandait conseil, parfois elle assistait son époux devant des ambassadeurs ; elle exprimait même son avis qui dans les négociations parfois serrées mettait ses interlocuteurs étrangers dans une position délicate.

L’année 1882 débuta fort mal, les troupes françaises s’étaient définitivement installées, petit à petit l’administration du pays passait aux mains des nouveaux maîtres de la Tunisie ; épuisé par tant d’années de lutte pour redresser son pays, Moulay Idriss, attrapa une mauvaise bronchite qui se transforma rapidement en pneumonie, des médecins français furent appelés à son chevet, mais ils ne purent rien faire contre l’évolution foudroyante de la maladie.

Le Bey s’éteignit au début de mars 1882. N’ayant pas d’enfant mâle et pas de frère vivant, aucun descendant direct ne put monter sur le trône. Le Résident français laissa la succession se dérouler selon les principes et coutumes de la famille beylicale. Le plus proche parent Rachid Mustapha, cousin du Bey décédé fut désigné pour succéder au défunt Bey.


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Date: 13 juin 2012 : 16:41

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Bien sûr un deuil national fut décrété au cours duquel le peuple fut appelé à s’associer en fréquentant le plus assidument possible la mosquée.

A la mi-mars Sidi Rachid Mustapha Pacha Bey fut intronisé Bey de Tunis. Les festivités furent très discrètes et sans commune mesure avec celles qui avaient présidé à la montée sur le trône de Moulay Idriss. Un peu parce que le peuple boudait le nouveau pouvoir, plus ou moins installé par les armes, un peu parce que l’influence du Bey semblait pâlir à vue d’œil, et beaucoup parce que la très grande pauvreté avait fait son apparition. Rachid Pacha promit de redonner à manger à tout le monde et il s’installa au palais d’Hammam-Lif pour y passer la fin de l’hiver et une partie du printemps.

Souffrant d’asthme il avait besoin des bienfaits des thermes installés non loin du palais, comme la source d’Aïn El Bey qui offrait une eau limpide et bienfaisante. Rachid qui avait la cinquantaine bien sonnée était un homme de bon sens, calme et réfléchi ; il connaissait les difficultés du pays et avait mesuré avec précision ses capacités d’intervention et le champ de ses possibilités. En outre il avait trois épouses et cinq enfants.

Néanmoins il avait entendu parler de Leïla Rahmar, de son sens politique et du sang froid qu’elle manifestait devant les hôtes étrangers du Bey. Voulant satisfaire sa curiosité, il la fit appeler au palais pour vérifier par lui-même de ses capacités en matière de diplomatie.

Dès le premier contact il fut pris par le charme de cette dame qui bien qu’ayant des formes légèrement plus alourdies qu’autrefois, possédait une très belle prestance. L’entretien qui devait durer quelques minutes se prolongea au-delà du temps prévu. On congédia l’audience suivante et la discussion s’éternisant on repoussa la suivante.

A la fin de l’entretien Rachid semblait conquis.

Très vite on évoqua un possible mariage. Bien que deux fois veuve de Beys, Leïla ne pouvait s’opposer à la volonté du monarque qui avait tout pouvoir sur ses sujets. Ainsi le souhait du nouveau Bey fut exaucé et Leïla devint pour la troisième fois de suite l’épouse du Bey ; toutefois ne pouvant donner d’enfant au Bey, son statut fut ramené à celui de simple membre du harem.

Leïla recommença à s’ennuyer ; elle se réfugia dans la lecture et découvrit la poésie des auteurs romantiques français. Etant la seule femme du harem à parler un français impeccable, le Bey la fit venir pour servir d’interprète lors de ses rencontres avec le Résident Général qui lui ne parlait pas l’arabe. Ce contact avec la politique l’intéressait, mais ces rencontres étant épisodiques elle finit par ne plus y prendre plaisir. Elle pensait de manière nostalgique à Moulay qui fut son seul et véritable amour.

A son tour elle tomba malade, sentant ses forces l’abandonner, elle demanda qu’on l’emmène une dernière fois au Saf Saf. Elle entra voilée dans le salon où tant de souvenirs l’attachaient, une dernière fois elle s’allongea dans le profond sofa ; elle ferma les yeux, son esprit se mit à vagabonder à travers les lieux et les années, elle s’endormit profondément et ceux qui la retrouvèrent endormie à tout jamais, crurent apercevoir sur ses lèvres le beau sourire qui avait enchanté tant d’hommes à la cour, et qui en avait retenu trois ; trois beys successifs. (Toute ressemblance avec des personnages ayant existé n’est que pure coïncidence)


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 15 juin 2012 : 12:29

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CHAPITRE 3

La danse du diable

- je ne sais plus pourquoi, j’ai repris mon petit Larousse et j’ai retrouvé au milieu des pages, une photo jaunie de ma petite sœur ; j’ai tout de suite pensé à vous. Avez-vous des nouvelles du Boukornine ?

- la photo de votre sœur, lorsqu’elle était petite, me fait penser à un personnage étrange et mystérieux qui effrayait les enfants surtout les petites filles. On l’appelait le Boussadia, savez-vous d’où venait-il et connaissez-vous la légende qui le suivait ?

L’esclavage en terre d’islam est un sujet tabou. Lorsque l’islam prend naissance, l’esclavage existe partout dans la plaine arabique, il est très largement répandu, non seulement dans les tribus de bédouins, mais également dans les villes où vivent les sédentaires. Une idée reçue voudrait que l’esclavagisme n’a été pratiqué que par les chrétiens et banni par le prophète.

Cette affirmation trouve naissance dans un propos de Mahomet qui déclare : «  je serai l’adversaire de celui qui asservit un homme libre, qui le vend pour avoir de l’argent ». Mais en fait l’esclavage sévit tout au long du Moyen-âge et dans les années qui suivirent ; il revêt sans doute, en terre d’islam, un caractère différent par rapport au monde grec ou romain ou plus tard chrétien, il n’en reste pas moins une pratique qui s’est poursuivie, dans le monde arabe jusqu’en 1846 en Tunisie, année où un décret beylical finit par le supprimer et partout dans les pays du golfe arabique jusqu’au 20ième siècle, il ne sera aboli en Arabie Saoudite qu’en 1970

La Tunisie a une longue histoire qui la lie à l’esclavage. On connait plusieurs types d’esclavage: celui venu d’Afrique noire et pratiqué par les caravaniers remontant le désert, il y a un esclavage venue d’Asie et notamment les caucasiens dont le Général Kheireddine en est le digne exemple, qui étaient d’abord vendus aux sultans ottomans puis revendus en Afrique du Nord et l’esclavage venu des actes de piraterie qui sévissaient sur tout le bassin méditerranéen celui-ci touchait de nombreux chrétiens qui une fois vendus en Tunisie ou dans le Maghreb se convertissaient à l’islam pour échapper à leur condition (malgré la parole de Mahomet l’esclavage s’appliquait aussi aux musulmans, mais de nombreux maîtres libéraient les esclaves pour peu qu’ils se convertissent).

Tunis avait son souk aux esclaves, dont l’activité journalière était extrêmement importante. Les descendants d’esclaves d’origine africaine, avait conservé de leurs lointaines contrées des danses et des musiques pratiquées par un personnage aussi surprenant que mystérieux : le Boussadia.

Le Boussadia (l’orthographe Boussaâdiah est également admise) est un personnage mythique du folklore populaire tunisien ; danseur et musicien de rues, mi saltimbanque mi sorcier ou griot, il évoque par sa gestuelle et sa musique les danses populaires d’Afrique noire.

Vivant d’une mendicité déguisée, on pouvait le rencontrer dans les rues, les places, les marchés, là où de nombreux passants étaient susceptibles de s’arrêter et de regarder, un peu amusés pour les adultes, un peu terrorisés pour les enfants, ses gestes apparemment ridicules et pourtant si bien coordonnés.

Son costume varie selon le type de spectacle qu’il souhaite offrir. En général sur le visage il porte un masque de cuir qui ne laisse apparaître que les yeux, comme si la partie du corps qui peut exprimer nos sentiments et nos pensées doit être cachée pour ne laisser qu’un seul signe d’humanité à travers la mobilité des yeux. Il porte un bonnet conique très pointu et très grand prolongeant virtuellement, par un lien invisible le monde réel au monde imaginaire ou surnaturel.

Le Boussadia porte une longue robe couverte de haillons, ces lanières de tissu multicolore cousues en bandelettes pendantes figurent des peaux d’animaux donnant à ce voyageur venu de nulle part une grande proximité avec le monde animal et la nature. Parfois des objets métalliques pendent de ses haillons, on les entend cliqueter lorsqu’il entreprend des danses burlesques, faites de tourbillons et d’immobilisation soudaines. Il s’accompagne de petites cymbales de cuivre ou de fer et parfois d’un tambourin qui rythme ses danses.

On raconte de nombreuses légendes sur ce personnage énigmatique. La plus répandue voudrait que le Boussadia représente un père dont la fille nommée Saadia aurait été enlevée et vendue comme esclave. Il va ainsi de rues en rues, de places en places, de villages en villages pour divertir les enfants, dans l’espoir de découvrir sa fille parmi les jeunes spectateurs. De nombreuses mères pour exorciser le mauvais sort, et afin de ne jamais connaître une telle infortune, donnaient de la semoule à leurs jeunes enfants ceux-ci la versaient dans l’outre en peau de chèvre qu’il portait solidement attachée à la ceinture.

Une autre légende raconte que le Boussadia recherche les filles qui ont un point rouge dans l’œil ; c’était la terreur chez les fillettes qui se regardaient toutes dans la glace pour chercher le point rouge.
On racontait aussi que Boussadia avait un autre nom, en arabe ‘sarak bou kloud’ qui signifie ‘voleur de cœur’ et qu’il volait les enfants pour leur prendre leur cœur.

Enfants, nous avons tous assisté aux spectacles de Boussadia, morts de trouille nous restions cependant plantés là, à rire de ses gestes saccadés et comiques, mais d’un rire craintif, lorsque faisant un tour sur lui-même il s’approchait du groupe d’enfants du premier rang c’était la débandade ; les adultes affranchis de toutes les légendes riaient de bon cœur.

Pourtant dans ces attitudes, ces moments d’immobilisation où les yeux vous transperçaient jusqu’au plus profond de vous-même, j’ai cru lire une profonde détresse, je n’ai sans doute pas été le seul, car le numéro terminé, les parents donnaient souvent une pièce à leurs enfants qu’ils allaient déposer au creux de la cymbale renversée.

Aujourd’hui ce personnage secret et mystérieux semble avoir disparu des rues de Tunis et des autres villes tunisiennes. En France les petits garçons et les petites filles croient de moins en moins au père Noël, les contes de Perrault et de Grimm font de moins en moins rêver nos enfants, et les romans de Jules Verne sont devenus réalité.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 17 juin 2012 : 22:23

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Moncef habitait la médina, non loin du marché aux esclaves, dans lequel son grand-père avait été vendu après une de ces terribles razzias pratiquées dans son village natal près de Tombouctou. Il avait seulement 20 ans lorsqu’à la suite d’une guerre entre tribus, il avait été fait prisonnier et vendu à un groupe de caravaniers.

Après bien des jours de marche, lui et de nombreux autres villageois furent triés et revendus au Grand Marché aux esclaves de Ghadamès (en Lybie).

Un autre groupe de caravaniers arabes l’acheta et repris une longue marche jusqu’à Tunis. C’est là dans la médina au Marché aux esclaves de Tunis qu’il fut vendu à une princesse beylicale. Moncef connaissait parfaitement le grand bâtiment et sa cour à arcades sous lequel s’entassaient ces pauvres malheureux. Du haut du grand escalier central, un homme à la voix forte lançait les enchères. Dès l’achat réalisé, on remettait l’esclave à l’acheteur. Le grand père de Moncef fut donc employé aux tâches ménagères dans la grande maison de la princesse, après vingt ans de loyaux services la princesse mourut ; les plus fidèles serviteurs furent affranchis.

C’est ainsi que le père de Moncef naquit et vécu en citoyen libre. De cette douloureuse histoire Moncef en garda une trace indélébile : il devint excessivement méfiant à l’égard des autres, et il garda la marque du pays de ses ancêtres, Le Mali : la peau noire.

Il y avait en Tunisie une population noire peu nombreuse, mais très bien intégrée. Tous descendants d’esclaves africains ; à l’origine animistes leurs parents s’étaient convertis à l’islam. Cependant ils n’occupaient pas de postes importants et n’exerçaient aucune fonction officielle.

C’est donc vers ce qu’on appelle aujourd’hui ‘les petits boulots’ que se tournait cette population : ils étaient portefaix au marché, parfois ‘homme de peine’ auprès d’un maçon, ou alors conducteur de charrette et pour ceux qui avaient le goût du spectacle : Boussadia ou musiciens.

Le père de Moncef avait travaillé toute sa vie au marché, il portait des caisses de marchandises qui l’avaient marqué physiquement pour un très maigre salaire, tout au plus le seul vrai avantage dont il bénéficiait, était celui de pouvoir se procurer gratuitement, des légumes et des fruits pour nourrir la famille.

Enfant, Moncef était un garçon vif et intelligent, à l’école franco-arabe il avait appris à lire le coran, il était le seul de la famille à pouvoir lire l’Arabe et un tout petit peu le Français, mais c’était suffisant pour la vie courante. Tout en respectant les traditions familiales, son caractère indépendant le conduisait à se distinguer de ses frères et sœurs. Son plus grand plaisir était de descendre de la médina et de déambuler attentif au spectacle de la rue. Il suivait parfois les musiciens de rue ou le Boussadia et ne perdait rien de leurs gestes, de leurs manières, de leur savoir-faire.

Un jour en se promenant il crut reconnaître l’un de ces musiciens, il l’interpela et il put ainsi engager une conversation avec lui. Moncef lui raconta qu’il aurait bien aimé comme lui jouer de la musique et danser. Sans le dissuader l’homme lui fit part de la difficulté de l’entreprise. Il lui proposa néanmoins de le revoir et lui donna rendez-vous pour le lendemain dans un café maure non loin de la place Halfaouine.

Le lendemain après-midi, Moncef, ponctuel se rendit jusqu’à Halfaouine, le musicien qui était également noir lui montra dans une petite salle une sorte de castelet et lui dit que le propriétaire du café pour attirer les clients, animait le soir un théâtre de marionnettes, or pour assurer son spectacle il avait besoin d’un complice qui devait lui passer les personnages et faire quelques bruits pour rendre le spectacle plus vivant.

Or le jeune qui assurait cette mission devait se rendre à Sfax où son père venait de trouver du travail, l’occasion était belle, Moncef sans consulter ses parents accepta ; pour la peine on lui promit quelques pièces et le droit de boire une limonade de temps en temps.

Il rentra chez lui le cœur en joie et fit part de son nouveau travail à son père ; celui-ci fronça les sourcils et prit la mine sombre et renfrognée de quelqu’un qui vient d’apprendre une mauvaise nouvelle, puis il donna toutes les raisons qui montraient que c’était une mauvaise idée et qu’à son âge il valait mieux qu’il trouve un travail au souk ou au marché parce qu’il serait ainsi assuré de manger toujours un morceau de pain. Mais rien n’y fit, Moncef avait depuis longtemps décidé de devenir artiste et tant pis s’il fallait commencer par passer des marionnettes.

Le café Ben Tahar, vu de l’extérieur ne payait pas de mine, aux beaux jours on déployait quelques tables sur une terrasse particulièrement étroite. L’intérieur était plus spacieux, mais meublé sobrement : à côté de la salle principale il y avait une autre salle où était installé le théâtre de marionnettes ; une douzaine de chaises bien fatiguées était rangées pour le spectacle.

La Tunisie avait une longue tradition du spectacle de marionnettes.

Les tous premiers spectacles mettaient en scène des figurines venues d’Orient. Mais c’est avec l’arrivée des Siciliens que le théâtre de marionnettes prit son essor. Ils développèrent leur fameux ‘opera dei pupi’ qui raconte les exploits du chevalier Roland face aux infidèles à Roncevaux. La passion sicilienne pour les aventures de Roland leur vient des longues périodes de domination normande sur l’île.

Plusieurs théâtres de marionnettes avaient vu le jour, et le public petit à petit s’était diversifié : et même s’ils ne comprenaient rien à l’Italien ou au Sicilien, les Français, les Arabes, les Juifs, étaient assidus à ces spectacles où l’on retrouvait ‘Orlando furioso’ (Roland), le félon Ganelon et le petit chat malin, Verticchio à qui on faisait les tours les plus pendables, mais qui savait redresser toutes les situations et retombait comme tous les chats du monde sur ses pattes. Le marionnettiste s’appelait ‘un pupazzaro’ (dérivé du mot ‘pupa’ : marionnette); une histoire suave se racontait à Tunis à son propos.

Un jour qu’il magnifiait un récit où Roland faisait face aux Sarrazins il déclara dans son emportement: «  Roland prit son épée Durandal et tua d’un seul coup trente trois infidèles », la salle protesta et lui dit : « baisse un peu le nombre, ça fait trop », imperturbable le ‘pupazzaro’ reprit « Roland pris son épée Durandal et tua vint cinq infidèles » ; le chahut repris de plus belle, le ‘pupazzaro’ dépité se tourna vers la salle et dit : « vous n’avez qu’à le dire vous-même le nombre », il reprit sa phrase « Roland prit son épée Durandal et tua…….. » , il marqua un arrêt et la salle reprit en chœur : « trois infidèles ».

Ce théâtre était si populaire qu’un théâtre s’ouvrit dans le café maure de la place Halfaouine, les marionnettes siciliennes étaient transportées et servaient aux marionnettistes tunisiens qui s’exprimaient en arabe et célébraient les exploits des combattants arabes contre les croisés. Ainsi s’était développé tout un contexte qui célébrait le courage, la vaillance et l’énergie de la nation arabe face à l’envahisseur chrétien.

Ce théâtre devint très populaire au point qu’il effraya les autorités françaises qui l’interdirent sauf pendant les fêtes de ramadan.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 19 juin 2012 : 01:15

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Mais ce qui faisait l’originalité de ce théâtre c’est qu’il avait adopté le personnage le plus connu du monde oriental et arabe : Karakouz.

Ce personnage venait de la tradition turque et ottomane, mais contrairement aux ‘pupi’ c’était un théâtre d’ombres, les figurines étaient dessinées et découpées dans le modèle du costume turc : pantalon bouffant et fez ottoman ; le héros principal était Karakouz, il avait un complice Hachiwaz personnage gauche et hideux, ils formaient ensemble un couple de joyeux lurons.

Karakouz était le polichinelle musulman, comme le guignol lyonnais il avait une liberté de ton telle qu’il pouvait reprendre toutes les rumeurs, les petites histoires, les dérisions mais aussi les poncifs sur les femmes qui se murmuraient de la médina à la kasbah.

Les propos des personnages étaient ponctués par le rythme de la Derbouka qui venait couvrir les rires des spectateurs. Karakouz était si célèbre qu’il avait franchi les frontières de la langue arabe et était devenu une sorte d’archétype pour la manière de s’habiller, de parler, de se comporter.

C’est ce Karakouz que Moncef devait contribuer à faire vivre. Petit à petit il avait appris la technique du mouvement des figurines, il connaissait tous les textes de base qui constituaient l’architecture des récits, il savait aussi que tous les jours il fallait apporter des anecdotes, des indiscrétions des faits divers bref tout ce qui bruissait dans les ateliers des souks et dans les rues de la ville européenne.

Moncef n’avait pas son pareil pour rapporter à son maître le bon mot, la bonne histoire tout ce qui allait alimenter le débit improvisé mais continu de la parole du marionnettiste. Cela faisait huit mois que Moncef était voué à son occupation lorsque le propriétaire et acteur du théâtre resta alité, il demanda à Moncef d’ouvrir le café et s’il s’en sentait le courage d’animer le théâtre de marionnettes.
Rien ne pouvait faire autant plaisir au jeune garçon, non pas la maladie du patron, que le fait de jouer enfin pour un public, de mettre sa voix sur le mouvement des figurines.

Le soir Moncef d’une voix mal assurée donna vie à Karakouz, à son compère Hachiwaz à la bourgeoise à la capeline, à la femme maladroite et empruntée qui essuyait les moqueries des deux compères. Toutes les hésitations et maladresses donnaient corps aux personnages, les rendaient plus fragiles, mais aussi plus ridicules et plus comiques. La soirée se solda par un triomphe, lorsque Moncef sortie du castelet ce fut un tonnerre d’applaudissements.

Les jours qui suivirent furent tout autant réussis. Le patron revint quelques jours après, il apprit très vite que Moncef s’était tiré d’affaire. Le soir Moncef reprit son rôle d’apprenti, mais dès les premières phrases la salle protesta vigoureusement : « on veut l’autre, on veut l’autre ! » criait-elle, le patron du café eut beau expliquer que son aide était encore jeune et inexpérimenté, il n’y eut rien à faire, Moncef passa derrière le castelet et avec sa voix mal assuré et encore plus hésitant que les autres jours mit en scène ses personnages, leur donna vie, les faisant passer tantôt pour des imprudents, d’autres fois pour des maladroits, sa propre maladresse se confondait avec celle de ses figurines et ses erreurs devenaient les erreurs de Karakouz, le public riait de bon cœur, la soirée était avancée ; de loin, le cafetier-marionnettiste lui fit signe d’arrêter, Moncef était grisé, il aurait voulu que ces instants ne s’arrêtent jamais.

Pourtant il fallut conclure pour laisser aux spectateurs le temps de devenir des clients du café et consommer.

Lorsque le dernier client quitta l’établissement et qu’il fallut terminer le nettoyage du café, pendant qu’il s’affairait, Moncef sentit une main se poser sur son épaule, son patron lui demanda alors de devenir le marionnettiste ; après tout, cela lui donnait plus de temps pour s’occuper des boissons et du service. C’est ainsi que Monsef devint l’un des marionnettistes les plus prisés de la capitale.

En cette année 1935 les spectacles prenaient une tournure plus politique, les théâtres, les cabarets les spectacles ne manquaient pas d’allusions à la volonté d’indépendance ; un parti nationaliste le néo-destour prônait, un certain desserrement de l’autorité que faisait peser la France, on parlait d’autonomie interne du pays, des négociations furent entreprises entre le gouvernement du front populaire et Bourghiba le nouveau leader du néo-destour.

L’échec de ces négociations donna lieu à des révoltes sanglantes réprimées durement. Bourghiba arrêté, fut assigné à résidence en France, tous les spectacles, y compris les spectacles de marionnettes et de théâtre d’ombre, qui avaient introduit depuis longtemps des dialogues qui moquaient le policier et toute autre forme d’autorité, furent rigoureusement interdits et Karakouz fut considéré comme trop subversif pour poursuivre sa carrière.

Celle de Moncef s’arrêta net, désormais il ne lui restait plus que son intelligence et sa très grande habileté à s’exprimer devant un public ; Il fallut se reconvertir et comme certains de ses camarades d’infortune issus de cette Afrique plus méridionale qu’on appelle l’Afrique noire, il devint Boussadia.

Moncef traina ainsi son amertume et sa nostalgie, il inventa une danse faite de mouvements saccadés et de gestes suggestifs qui mimaient l’homme qui suffoque, il était le seul Boussadia à exécuter cette danse mystérieuse; tous les spectateurs connaissaient Monsef l’ancien marionnettiste devenu Boussadia et tous lui réclamaient à la fin de son numéro: la danse du diable.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 19 juin 2012 : 02:33

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Cependant Luciano qui avait mal accepté le statut instable de sa sœur, pressait Biagio de régulariser sa situation. Biagio qui ne voulait pas déplaire à son beau-frère en fit la promesse, sans pour autant s’exécuter. Les mois passèrent, on changea bientôt de siècle.

La première année du nouveau siècle était passée, Suzza tomba enceinte pour la troisième fois. Luciano perdit alors patience et somma Biagio de respecter son engagement, mais surtout d’assumer toutes ses responsabilités familiales et de régulariser une situation qui n’avait que trop duré.

Biagio ne souhaitait pas entrer en conflit, il ne cherchait pas à s’opposer ouvertement, du reste en signe de gage il déclarait qu’il avait reconnu ses enfants, qu’il leur avait donné son nom et qu’il s’acquitterait de sa dette envers Suzza le plus tôt possible. Un petit ‘Paolo’ diminutif ‘Paolino’ en ‘cumissaro’ c’était ‘Paulino’, vint s’ajouter à la nombreuse famille.

Biagio reconnu ce nouvel enfant, mais dans la précipitation des évènements il ne corrigea pas l’erreur de l’employé de l’état civil qui rédigea le nom de famille Gurreri au lieu de Gurrieri. Ainsi le dernier enfant n’avait pas le même nom que ses trois autres frères.

A la naissance de ‘Paulino’ le conflit entre Luciano et Biagio prit un tour aigu. Luciano interpella très sèchement son ancien ami et le menaça de prendre toutes les dispositions qui s’imposaient. Biagio soit qu’il fut pris par son travail soit qu’il s’appliqua à faire traîner les choses, ne prit pas l’avertissement au sérieux.

Le coup de théâtre se produisit à l’initiative de Luciano, lassé du comportement pour le moins indolent de Biagio décida de faire en sorte que sa sœur ait une situation régulière et stable. N’étant pas en mesure d’obliger Biagio à s’exécuter, il prit des dispositions afin que sa sœur devint néanmoins et par le mariage : Biagina Gurrieri.

Pour les Italiens qui étaient sous statut particulier, il n’y avait pas de mariage civil. On se mariait à l’église qui enregistrait les actes pour les transmettre ensuite au consulat d’Italie, celui-ci transformait l’acte religieux en acte civil qui ne devenait officiel que lorsque l’autorité italienne adressait le document aux autorités françaises.

Il convient de préciser que jusqu’à la Révolution, la France était soumise à ces mêmes règles, seul le mariage religieux était reconnu.

Les registres paroissiaux tenaient alors lieu d’état civil. La loi du 20 septembre 1792 instaure définitivement le mariage civil qui devient le seul valable aux yeux de la loi ; il doit précéder toute cérémonie religieuse.

Le non respect de cette règle est constitutif d’un délit (sauf pour la Tunisie qui bénéficie d’une dérogation). Le baptême républicain fut également institué au nom du principe que seules les municipalités étaient habilitées à établir des actes civils (loi du 8 juin 1794-20 prairial an II).

Mais à l’inverse du mariage aucun texte législatif ne vint officialiser la mesure ; ce qui le rendit facultatif ; de fait il tomba en désuétude. En Italie les choses étaient plus compliquées, après l’unité italienne, le nouvel état s’intéressa à la reconnaissance d’une cérémonie strictement civile, notamment pour les athées; mais la pression exercée par l’église rendit la mesure inefficace officialisant le statut quo, jusqu’au concordat de 1929 qui reconnu le mariage religieux comme seul acte d’état civil.

L’obligation du mariage civil fut instituée bien plus tard au milieu du XXème siècle.

Luciano se rendit donc à la nouvelle belle cathédrale de Tunis, (appelée aussi cathédrale Saint Vincent de Paul, elle fut construite entre 1893 et 1897, Biagio contribua sans doute à son édification car les ‘Scalpellini’ furent largement mis à contribution). Elle se dressait magnifiquement belle au tout début d’une très grande esplanade : l’esplanade de la Marine qui à l’origine en 1885 n’était qu’un immense champ tout en longueur, boueux et mal odorant car des égouts à ciel ouvert (les khandaqs) le parcouraient et se déversaient dans le lac Bahira appelé aussi Chicly, du nom de l’île et du château en ruine qui se trouvait au milieu du lac et qui aurait été construit selon la légende lors de la conquête de Tunis par Barberousse ; en réalité la présence de vestiges romains rendent l’hypothèse improbable.

Il rencontre le curé et fait dresser à l’insu de Biagio, des actes de mariage au nom de Biagio Gurrieri et de Biagina Caruso. Les bans publiés il ne manquait plus que la cérémonie officielle qui fut fixée au samedi 16 mai 1903 jour de la St Honoré comme si symboliquement celui-ci rétablirait Biagina dans son honneur.

Le Curé était-il dans la confidence, il est difficile de le savoir, mais le coup fut préparé dans la plus totale discrétion. Ainsi ce samedi 16 mai par une très belle journée de printemps, Biagina au bras de son frère Luciano qui joua pour l’occasion le rôle du futur époux entra dans l’église pour épouser Biagio Gurrieri.

Pour la famille Caruso qu’importait cette entorse à la morale chrétienne puisque ‘Dieu reconnaitrait les siens’, néanmoins cet évènement devint  le deuxième grand secret de famille.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 20 juin 2012 : 17:02

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CHAPITRE 4
Le paradis des Lotophages

- Saviez-vous qu’Ulysse au cours de son voyage a débarqué en Afrique, précisément en Tunisie?

- Oui bien sûr non seulement cet épisode est connu, mais les romains connaissaient Ulysse, notamment ceux qui ont occupé Carthage et sa région ; celui-ci est représenté dans une mosaïque romaine du musée du Bardo trouvée à Dougga, attaché au mat de son navire résistant au chant des sirènes.

Le périple d’Ulysse à travers la méditerranée orientale et centrale fait suite à la guerre de Troie. Ulysse roi d’Ithaque avait rejoint la coalition des Achéens commandée par Agamemnon, cette guerre dura dix ans et se termina par la défaite des Troyens. La guerre finie Ulysse à la tête de sa flotte de douze bateaux prit la mer pour rentrer chez lui. Une tempête obligea les navires à se réfugier sur l’île aux cyclopes qui n’ont qu’un seul œil au milieu du front.

Pour échapper à la mort et en utilisant un stratagème dont il avait le secret il crève l’unique œil du roi Polyphème et s’enfuit. Il est obligé alors d’affronter le courroux de Poséidon dieu de la mer et père de Polyphème, qui en dépit de l’accord de Zeus et des autres dieux qui l’autorisèrent à retourner dans son pays s’acharna sur Ulysse et ses hommes. Tous ses bateaux se fracassèrent sur les récifs, sauf le sien.

Alors commence un long voyage qui va durer dix autres années où il va connaître avec ses compagnons des aventures extraordinaires. Parmi celles-ci figure la courte halte qu’il effectue sur l’île de Djerba.
Lorsqu’Ulysse aborda cette terre inconnue, il ne pouvait se douter que trois de ses marins, ceux qui furent désignés pour débarquer et faire le récit de leur rencontre avec les habitants qu’ils soient hospitaliers ou hostiles, refuseraient de reprendre la mer, oubliant le nom de leurs compagnons, le but de leur mission, les aventures qui les avaient conduits là et jusqu’à leur propre nom.

Retrouvés par des émissaires envoyés pour les rechercher, ils étaient dans un état de demi-inconscience. Ils prononçaient avec insistance le mot ‘lotos’. Lorsque Ulysse et ses compagnons entreprirent d’interroger ces hommes dépourvus de mémoire et de volonté ils apprirent peu de choses ou plutôt ils découvrirent que les trois marins ne savaient plus d’où ils venaient, que leur seul souhait était de rester dans cet extraordinaire pays dont les habitants étaient très accueillants et hospitaliers et se nourrissaient d’un petit fruit sucré qu’ils appelaient ‘lotos’.

C’est ainsi que cette terre inconnue fut nommée l’île aux Lotophages.

Selon toutes les études entreprises par les spécialistes et les historiens sur le parcours d’Ulysse en méditerranée, cette île est identifiée comme l’île de Djerba (c’est la seule halte en terre d’Afrique que le roi d’Ithaque ait effectué).

Selon la légende, les Lotophages étaient donc des mangeurs de lotos.

Contrairement à ce que l’orthographe de ce mot peut laisser penser les lotos ne sont pas les fruits du lotus (plante aquatique endémique des zones humides et marécageuses) mais des petits fruits très sucrés, dont les vertus sont telles qu’elles vous font oublier d’où vous êtes venu et vous incitent à demeurer parmi ces populations du reste accueillantes et paisibles.

Dans les explications les plus contemporaines, on définit le lotos, comme pouvant être la datte du palmier dattier (phœnix dactylifera) présente sur l’île de Djerba, d’autres pensent qu’il s’agit du jujube, le fruit du jujubier, peut-être parce que cet arbre est très répandu sur l’île mais sans doute aussi parce qu’il évoque l’ascension nocturne de Mahomet accompagné de l’Ange Gabriel vers le ciel, où ils virent le jujubier, ‘cet arbre immense et magnifique dont les fruits ressemblaient à des papillons d’or’.

Une autre interprétation tout autant intéressante m’a été délivrée par des habitants de Djerba, il s’agirait d’une toute petite pomme, pas plus grosse qu’une cerise de couleurs verte et rouge extrêmement exquise et sucrée et que l’on ne trouve qu’à cet endroit.



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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 22 juin 2012 : 01:46

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Mais plus que le mot lui-même, arrêtons-nous sur la symbolique que la mythologie a caché derrière cette escale djerbienne. Pour ceux qui font un long voyage n’oublions jamais d’où l’on vient. La maxime, bien entendu, peut aisément se transposer dans la vraie vie, mais comme dans toutes les légendes laissons l’imagination voguer et vagabonder

Si les lotophages étaient si paisibles et accueillants c’est parce que leur terre et leur mer sont un véritable don du ciel. Ils vivent sur une terre plutôt aride dont ils ont su récupérer et préserver l’eau des très rares mais violentes pluies par un système sophistiqué de bassins souterrains.

Mais ils ont su aussi exploiter la configuration du sous sol qui leur donne des puits artésiens, ces puits ont été réalisés bien des siècles avant que les moines d’Artois ne mettent en évidence ce phénomène.

Si bien que les lotophages essentiellement cueilleurs et cultivateurs était un peuple heureux et sans histoire. Zeus avait doté ce petit paradis d’un arbre mythique, le lotos dont les fruits avaient ce pouvoir magique d’effacer de la mémoire des visiteurs qui faisaient halte dans l’île, tout ce qu’ils avaient appris d’avant de déguster les fameux fruits.

Si bien que les nouveaux venus devenaient à leur tour des lotophages aussi calmes et paisibles que leurs hôtes. Ceci perpétuait la douceur de vivre qui envahissait les habitants de cette île.

Les lotophages étaient aussi des pêcheurs, mais ils ne jetaient pas comme tous les pêcheurs leurs filets. Ils avaient inventé un stratagème grâce aux branches de leur arbre miracle, le lotos, qu’ils enfonçaient dans les eaux peu profondes de leur rivage afin d’établir un couloir qui entraînait progressivement, les poissons qui s’y risquaient à ne plus retrouver leur chemin et à devoir seulement avancer jusqu’à un vaste enclos en forme de nasse dont ils ne pouvaient s’échapper.

Ainsi le mythe du lotos se poursuivait, atteignait les poissons et l’abondant vivier permettait à chacun de se nourrir à sa faim. Ce principe est très connu et encore utilisé à Djerba et dans de nombreuses contrées dans le monde, il nous vient pourtant de cette très lointaine antiquité.

Homère dans le chant IX de l’Odyssée consacre à peine quelques lignes aux Lothophages, il s’éloigne très vite de cette terre de l’oubli et son héros nous laisse sur notre faim, mais nous en savons assez pour nous laisser entraîner vers les rives de l’imaginaire et laisser libre cours à nos rêves.

Bien des années plus tard les romains en entreprenant leur voyage vers le sud de la Tunisie et la Lybie où ils créèrent la province de Cyrénaïque, firent halte à Djerba pour y fonder plusieurs comptoirs.

La voie romaine qu’ils créèrent et qui rattacha l’île à la terre ferme, de Zarzis à El Kantara, est toujours utilisée de nos jours.



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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 23 juin 2012 : 01:52

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CHAPITRE 5

Ali Riahi

- en cherchant sur mon téléviseur une chaîne musicale, j’ai entendu un air qui m’a rappelé étrangement une chanson arabe que l’on entendait à la radio en Tunisie

- c’était l’époque ou radio Tunis reprenait les chansons de Oum Kalthoum et les airs de Ali Riahi. Tout le monde chantonnait les chansons d’Ali Riahi ; mais l’avez-vous connu ?

Ali Riahi était une espèce de dandy au visage poupin, qui promenait son embonpoint dans les rues de Tunis, avec bonne humeur.

A son passage, ses plus fervents admirateurs, lui baisait la main en signe de respect et de reconnaissance, il se laissait faire de bonne grâce et poursuivait sa conversation avec l’ami qui lui tenait compagnie.

J’ai croisé en été, Ali Riahi, une ou deux fois sur l’avenue Jules Ferry, en fin d’après midi quand la chaleur décline et que les marchands arrosent les trottoirs surchauffés, pour apporter un peu de fraîcheur, il était vêtu d’une Djellaba très légère d’un blanc immaculé, comme en portaient les arabes importants, les cheveux brillantinés étaient tirés en arrière, il avait un sourire éclatant, souligné par une dent en or sur le devant de la mâchoire.

Je ne connaissais pas Ali Riahi, des copains tunisiens du lycée m’en avaient parlé, et j’ai su, qui il était, grâce à un passant complaisant qui m’en a fait part au moment où nous l’avons croisé.

J’avais sans doute entendu chanter Ali Riahi à Radio Tunis, mais à cette époque je n’étais pas sensible aux mélodies langoureuses de la musique arabe.

Pourquoi faire revivre ce personnage alors que des milliers de chanteurs beaucoup plus célèbres se partagent les antennes des radios et des télévisions.

Ali Riahi était sans doute le chanteur le plus représentatif de la chanson arabe tunisienne, il a beaucoup fait pour le renouveau de cette musique  parce qu’il a su faire converger la puissance de la musique arabo-musulmane, et les rythmes chaloupés du malouf issu de la musique arabo-andalouse.

Ali Riahi était un mythe vivant, lorsqu’il montait sur scène, c’était le délire. Le public se levait et applaudissait de très longues minutes, Ali Riahi avec son sourire coutumier attendait patiemment la fin de cette longue ovation qui allait être suivie par bien d’autres tout au long de la soirée ; il n’était pas rare que des spectateurs montent sur scène pour le supplier de chanter leur chanson favorite, alors c’était le signal pour beaucoup d’autres de venir exprimer leur ferveur au plus près de leur chanteur favori.

Ali Riahi se tournait vers ses musiciens et commençait alors ce long dialogue entre la musique et la voix douce et riche du chanteur. Ali Riahi chantait le ‘malouf’ car c’était la musique traditionnelle arabe et tunisienne. Le malouf est né en Espagne, il signifie en arabe ‘fidèle à la tradition’ fidèle au patrimoine musical qui s’est enrichi dans l’Andalousie du VIIIème au XVème siècle dans les cours royales et les jardins des délices de Grenade de Cordoue et de Séville.

Après l’expulsion des juifs et des musulmans par Isabelle La Catholique à la fin de l’année 1492, une nouvelle page de la musique arabo-andalouse s’est ouverte en Tunisie et dans le reste du Maghreb, c’est la raison pour laquelle juifs et musulmans ont toujours été associés dans l’interprétation de cette musique.

La complicité entre Ali Riahi et ses musiciens était totale, parfois l’orchestre s’arrêtait, Ali en faisait autant, la salle était suspendue, alors ‘l’oud’ (ancêtre du luth) égrenait quelques notes suivi du ‘nay’ (flûte de roseau appelée aussi la flûte bédouine) puis le violon et l’alto, Ali reprenait la mélodie ponctuée par le rythme de la ‘darbouka’ (sorte de tambour réalisé à partir d’une poterie), le public chavirait.

Parmi les chansons réclamées par le public l’une d’entre elle était devenue incontournable ‘thlath ouardat’ qui signifiait trois roses.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 24 juin 2012 : 18:17

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Ali Riahi ne chantait jamais cette chanson sans aller chercher en coulisses les trois roses qu’il tenait à la main et qu’il promenait de concert en concert.

C’est lui qui prenait un grand soin à les apporter et ne chantait jamais thlath ouardat sans tenir ses roses à la main. Un jour qu’il chantait dans une salle d’Halfaouine (quartier de Tunis) il oublia ses roses et ne chanta pas sa chanson fétiche, l’insistance du public frisa l’émeute ; Ali Riahi envoya son chauffeur chez lui, il habitait en ce temps là à Salammbô soit à plus de 20 kilomètres de
Tunis.

Le concert prit fin, dans un délire, avec thlath ouardat et Ali Riahi tenant au dessus de sa tête les trois roses.





CHAPITRE 6

Les nuits de ramadan à Halfaouine


- J’avoue ne pas bien connaître la religion musulmane, et je n’ai jamais compris si le ramadan était une période triste ou agréable.

- je n’en mais rien moi-même mais on m’a rapporté que les nuits de ramadan était longues et un bon prétexte à faire la fête.

Le ramadan est une période importante pour tout musulman, au moment du ramadan, Tunis et la Tunisie changeait totalement d’atmosphère.

Chedli aimait beaucoup le ramadan, à son âge, il avait 10 ans, on ne faisait pas le ramadan, mais cette effervescence qui gagnait la famille le rendait joyeux. Pourtant le ramadan est une épreuve pour tous les adultes qui le pratiquent. Mais savait-il ce qu’était le ramadan  en dehors de voir ses parents jeûner toute la journée sans même boire une goutte d’eau, son père qui habituellement était fumeur laissait ses cigarettes dans un tiroir.

Chedli fréquentait l’école franco-tunisienne de son quartier et c’est pendant le cours d’arabe que son professeur qui remplaçait parfois le mufti à la mosquée, lui avait appris l’histoire de la venue du prophète. Du départ des disciples de Mohamed de la Mecque pour rejoindre Yathrib (Médenine) qui marque le début de l’hégire (début du calendrier musulman).

Il savait aussi que le ramadan vient du mot arramad ce qui signifie en arabe sol brûlant, et absence de nourriture, et que bien avant l’islam cette période était celle du 9ème mois lunaire. Dans le coran Mohamed a rendu le jeûne obligatoire, précisément pour respecter la tradition de ces contrées comme le faisait auparavant les juifs se référant au jeûne durant le yom kippour.

Le jeûne commençait, à l’aube, dès la disparition du premier croissant de lune du 9ème mois du calendrier lunaire et se terminait chaque soir dès l’apparition du croissant de lune dans les lueurs crépusculaires du soleil couchant. Enfin le nombre de jours du calendrier lunaire étant inférieur à celui du calendrier solaire, le ramadan se décale chaque année de dix à douze jours si bien qu’il peut survenir dans chaque saison.

A Tunis la rupture du jeûne était annoncée par un coup de canon tiré sur les hauteurs de la Kasbah.

Le père de Chedli était dinandier au souk En Nhas, appelé aussi le souk du cuivre. C’était un artisan réputé, car certaines des pièces qu’il avait réalisées se trouvaient dans des palais beylicaux. Le soir à la fin du ramadan il aimait boire un café dans l’un des bars de Halfaouine tout en fumant une cigarette.

Chedli qui avait arpenté les souks et les rues de la médina venait le rejoindre, son père lui commandait une grenadine qu’il se délectait à déguster.

Il faut dire que pendant le mois de ramadan, à quelques heures de la rupture du jeûne, un véritable cérémonial se mettait en route. Sa maman à la maison commençait la cuisine, elle préparait la très fameuse ‘chorba’. Chedli qui adorait l’observer pendant son travail connaissait la recette par chœur. Elle commençait toujours par couper l’oignon en lamelles ce qui faisait pleurer tout le monde ; dans la marmite en terre placée sur le ‘canoune’ chaud (foyer en terre dans lequel brûle du charbon de bois ) elle mettait l’huile d’olive et faisait revenir les oignons, l’odeur emplissait la grande pièce qui servait de salle à manger, et qui le soir venu, une fois les couvertures dressées par terre, devenait la chambre des enfants, car il y avait deux pièces dans la maison de Chedli.

Le WC se trouvait dehors ainsi qu’un robinet qui servait à la toilette quotidienne. Pour la grande toilette il fallait se rendre au hammam. Dés que l’oignon embaumait il fallait verser les épices dont Zohra la maman de Chedli avait le secret d’abord le tabel-karouia l’épice reine de la cuisine tunisienne, le curcuma, la zayana (plus connue sous le nom de paprika), une cuillère d’harissa sans laquelle tout bon tunisien ne trouve pas de goût à ce qu’il mange, elle écrasait l’ail et versait le concentré de tomate, très vite les ingrédients en se mélangeant exhalaient des odeurs et des parfums qui se propageaient de maisons en maisons car la chorba était la soupe du ramadan.

Elle plongeait ensuite la viande d’agneau coupée en dés, parfois Zohra remplaçait l’agneau par le poulet, mais la famille préférait l’agneau car le liquide était plus onctueux. C’est seulement après que la viande ait pris une belle couleur qu’on ajoutait l’eau, et les épinards.

Il fallait alors oublier la marmite qui mijotait deux bonnes heures avant que la cuisinière ne verse le ‘chirr’ aussi appelé ‘t’chicha’ (graines d’orge grillés) et les pois chiches. La marmite mijotait encore une heure, alors on versait les langues d’oiseau (pâtes) et un peu de ‘smen’ (beurre clarifié).

L'enfant des terrasses - les nuits de Halfaouine.

Ourili cacaouéia !!!


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 26 juin 2012 : 01:51

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La chorba n’était pas le seul met des repas de ramadan. Il fallait aussi préparer le repas de la nuit. Une heure après la chorba qui calait le ventre, après une journée de jeûne, il fallait se remettre à table.

Dans la famille de Zohra et Mohamed (le père de Chedli s’appelait ainsi) on prenait du lait caillé et des pâtisseries les ‘makrouts’ et les ‘zlabia’ qui sont de merveilleux gâteaux au miel.

Toute la famille allait se coucher et le matin avant que le soleil ne se lève on se remettait à table pour avaler une soupe un peu plus claire préparée avec des carottes des pommes de terre et des navets ; c’était la soupe que Chedli aimait le moins mais il savait aussi qu’il pouvait manger, après la soupe, selon la saison une orange, une figue de barbarie ou un bol de droo (crème réalisée avec la farine de sorgho qui tient si bien à l’estomac).

Le père préparait minutieusement le thé, qu’il versait d’une théière à l’autre en levant la théière pour mieux aérer le breuvage.

La fin du repas correspondait à l’annonce du ‘muetzin’ qui appelait les fidèles à la prière du matin.

Ce rite familial était immuable il donnait, un vrai bonheur aux enfants et aux adultes et il rendait les nuits du ramadan les plus belles nuits de l’année.

Au dehors au cours de ces années 50, où le ramadan se déroulait au printemps, laissant plus de temps avant la nuit noire, juste avant la rupture du jeûne, on assistait à tout un cérémonial, dans les cafés maures les employés commençaient par rafraîchir et nettoyer les trottoirs en jetant de l’eau, cette pratique était habituelle dès que la chaleur envahissait Tunis, même, hors période de ramadan.

Ensuite on préparait les narguilés, cette préparation nécessitait une attention particulière, les cafés étaient souvent choisis en fonction de la qualité de leur narguilé, en arabe on l’appelait ‘shicha’ ce mot vient du persan et signifie verre, matériau dans lequel était réalisé le corps du narguilé qui contient l’eau. Le narguilé est une pipe à eau au sommet de laquelle se trouve un récipient de métal relié au réservoir, par une longue cheminée qui trempe dans l’eau.

Dans le récipient au sommet de la cheminée on place le ‘tabamel’ un mélange de tabac fermenté et de mélasse parfumée aux essences de fruits sur lequel on dépose des braises. Un long tuyau souple terminé par un embout permet d’aspirer l’air empli de la fumée filtrée par l’eau qui occupe la moitié du réservoir.

Certains poussaient l’esthétique jusqu’à parfumer l’eau à l’eau de rose. Fumer le narguilé est sans doute la pratique la plus répandue de l’Orient. Dès le son du canon, qui annonçait la fin du jeûne, les terrasses des cafés étaient envahies par des hommes (il faut dire que les femmes préparaient le repas familial), alors commençait le frénétique ballet des garçons qui apportaient les différentes boissons aux clients ; ce qu’on buvait volontiers c’était soit un café soit une boisson sucrée avec de la limonade jamais d’alcool proscrit chez les musulmans surtout en période de ramadan.

Puis arrivaient les narguilés, tous les gestes étaient lents, on savourait chaque bouffée de tabac, chaque gorgée de liquide, on effaçait très progressivement, petit à petit, la dureté de la journée de jeûne et d’abstinence.

Après une heure ou deux, les hommes mûrs rentraient à la maison pour partager avec la famille la longue nuit. Les jeunes hommes se réunissaient dans de petites gargotes qui exhalaient l’odeur renversante des soupes longuement mijotées, des épices ou du méchoui qui grillait lentement (en général on utilise le mot méchoui pour la cuisson de l’agneau entier ; mais le mot méchoui hérité du mot arabe ‘sawa’ indique toute viande grillée ou rôtie).

Dans ces gargotes on préparait aussi la méchouia sorte de salade de poivrons, tomates et oignons grillés et finement découpés, qui accompagnait les morceaux de viande et les très odorants ‘tajines de loubia à la tomate’ (haricots longuement mijotés). Derrière une vitre qui faisait usage de vitrine s’empilaient les ‘khobz tabouna’, galette de pain qui a pris le nom du four traditionnel tunisien dans lequel elle est cuite, le four est un grand trou à même la terre, fortement chauffé par un feu de bois, sur les bords duquel on faisait cuire les galettes de pain à la semoule et à l’huile d’olive.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 27 juin 2012 : 01:46

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Ces dîners réparateurs se prolongeaient dans les chaudes et douces soirées de Tunis, les tables étaient installées sur le trottoir et on s’interpelait de table en table car à Halfaouine tout le monde se connaissait.

La plupart des hommes étaient soit vendeur, marchand ou portefaix au marché soit artisan ou apprenti artisan dans les souks, tous les métiers étaient représentés, les ferblantiers, les dinandiers, les graveurs sur cuivre, les fabricants de babouches, de chéchia, les tisserands, ils se côtoyaient le jour et dans une joie communicative communiaient aux mêmes plaisirs du repas pris en commun le soir.

Mais la soirée n’était assurément pas finie, après ce premier dîner la longue nuit du ramadan se poursuivait au spectacle, les tunisiens sont passionnés de musique et de chants, alors, Halfaouine devenait le centre artistique de Tunis.

Halfaouine est un quartier populaire bâti au cœur de la médina de Tunis. C’est une ville dans la ville avec ses marchands de légumes, ses épiciers djerbiens, ses cabarets et ses cafés maures. En outre il abrite le quartier général du club de football ‘l’Espérance Sportive de Tunis’ et ses milliers de supporters. Le quartier s’est développé autour d’une très belle place, la place Halfaouine, celle-ci est ornée d’une très élégante fontaine posée au centre d’une étoile à huit branches, (qui symbolise la déesse babylonnienne Ishtar déesse de l’amour, mais aussi il est dit dans l’islam que huit anges supportent le trône de dieu)), au fond se trouve la mosquée Saheb Ettabaâ et son haut minaret octogonal.

La place était le lieu le plus important du quartier, elle était le centre de la vie publique et sociale, on y discutait, on s’y disputait, on commentait les résultats de football et de l’équipe du quartier : ‘l’Espérance’, on faisait, on défaisait et on refaisait le monde, on se passionnait de politique (les Tunisiens ont toujours aimé la politique), enfin on se délectait de musique dans les petits cabarets de poche.

Les tunisiens étaient si passionnés de musique que dès la mise sur le marché des radio-transistors la médina s’est empli de la musique diffusée par les radios arabes, il n’y avait pas un seul atelier une seule boutique sans un poste de radio et comme ils se branchaient tous sur la même station, si d’aventure vous deviez traverser la médina vous pouviez écouter, tout en marchant, la même chanson sans en perdre une miette.

C’est à Halfaouine que les grandes voix de la chanson tunisienne ont fait leurs premières armes, c’est à Halfaouine que des musiciens avertis ont expérimenté les sonorités du malouf et de la chanson arabo-andalouse et arabo-berbère.

Dans les années vingt, une artiste exceptionnelle a enflammé les nuits d’Halfaouine. Aussi extraordinaire pour son talent que pour sa profonde liberté de vie : Habiba Msika de son vrai nom Marguerite Msika chanteuse d’origine juive a porté comme personne la musique arabo-andalouse ; née dans les tous derniers jours du XIXe siècle, dans une famille juive très modeste elle avait appris l’arabe littéraire et le chant avec le plus grand compositeur tunisien Khémaïs Tarnane.

Habiba était une sorte de Sarah Bernard et de Colette réunies ; elle faisait aussi du théâtre et avait même joué ‘Roméo et Juliette’ puisé dans le répertoire shakespearien. Elle avait un tel pouvoir de fascination que ses nombreux admirateurs s’appelaient ‘les soldats de la nuit’ ils l’entouraient, la protégeaient et surtout assuraient une présence constante à ses concerts.

Elle avait modifié son prénom à la demande de ses fans et s’était donné le prénom d’Habiba qui signifie en arabe ‘bien aimée’. En fait elle a connu une vie amoureuse tumultueuse, multipliant amants et époux ; pourtant ce qui fit scandale c’est le baiser langoureux qu’elle échangea au cours d’un spectacle à La Marsa avec l’actrice israélienne d’origine libyenne Rachida Lofti, la salle fut choquée et des spectateurs violents mirent le feu à la scène. Habiba Msika était aussi une figure politique, bien que de confession israélite elle était profondément nationaliste ; il lui arrivait parfois, au cours d’un concert de s’envelopper dans le drapeau tunisien, la salle croulait. Un soir que les autorités coloniales étaient venues l’arrêter, elle ne dut son salut qu’à ‘ses soldats de la nuit’.

Habiba Msika connut une fin tragique l’un de ses amants l’aspergea d’essence et la brûla vive. Au cimetière du Borgel, la pierre tombale d’Habiba Msika qui suscite toujours autant de vénération, est surmontée d’une colonne entourée de couronnes de lauriers.


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Date: 28 juin 2012 : 02:15

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CHAPITRE 7

Qui est Kaddour Ben Nitram


- Ma bonne dame avez-vous des nouvelles du Boukornine ?
- Et bien hier en cherchant dans ma bibliothèque, j’ai retrouvé un petit livre ancien et poussiéreux, Fables et Contes de Kaddour Ben Nitram illustré par Drack-Oub, mais connaissez-vous Kaddour Ben Nitram ?


J’ai croisé trois ou quatre fois Kaddour Ben Nitram, près du marché central de Tunis, rue Charles De Gaulle, un petit arabe poussait son fauteuil roulant, il changeait chaque fois de pousseur ; je soupçonne ce diable d’homme de le faire avec l’idée qu’en donnant la pièce à différents enfants ils seraient toujours plus nombreux à tenter leur chance, et ainsi il ne tomberait jamais en panne de pousseur.

Ainsi le Kaddour Ben Nitram de la radio, cette voix puissante et sûre, était infirme, quand je l’écoutais à la radio, je ne l’imaginais même pas dans son fauteuil et pourtant Ben Nitram de son vrai nom Edmond Martin avait été blessé à la guerre de 14-18 et il s’était conduit en héros.

Il avait choisi le prénom de Kaddour car son copain de guerre, un tirailleur tunisien s’appelait Kaddour, pour le reste son nom n’était autre que l’anagramme de Martin auquel il avait ajouté Ben pour faire tout fait couleur locale, puisqu’il était né à Tunis.

Kaddour Ben Nitram était une très grande vedette en Tunisie, surtout depuis que radio Tunis lui avait confié un créneau quotidien. Mais une vedette dans quel domaine ? Et bien ! Son langage, sa langue devrait-on dire était le sabir.

Le sabir est une langue qui n’existe pas en tout cas ce n’est pas une langue officielle et reconnue et pourtant c’était la langue que parlaient des milliers de gens en Tunisie volontairement ou involontairement ; c’est un mélange d’arabe, de français, d’italien, de maltais et cela avec les intonations particulières de l’arabe parlant le français ou l’italien, du juif parlant à un arabe ou à un français, du sicilien parlant à l’arabe. Tout le monde ne parlait pas le sabir, mais rares étaient ceux qui ne le comprenaient pas ; Kaddour Ben Nitram en avait fait une langue écrite.

Des personnages sont nés de ces histoires racontées à la radio, chacun était typé selon son origine.

Chez les Français il y avait Antoine Filigone, retraité de la police et Figatelli gardien de prison ; ils ne sont pas seulement Français ils sont surtout Corses. (Pourquoi ces professions ? D’abord parce que cela correspondait à une certaine réalité, ensuite dans l’imaginaire populaire quand on était Corse on pouvait être bandit mais parfois passer de l’autre côté)

Salem dit ‘El Safrane’ et son ami Ali Khafles , noctambules toujours ivres, Kaddour Ben Mansour(*) tirailleur tunisien à la retraite étaient arabes. (l’ivresse est banni dans l’islam, et pour un Tunisien avoir servi dans l’armée française n’était pas bien vu, on comprend ce qu’il y a d’ambigu et de transgressif)
Braïtou (*), le commerçant, Kouka la ménagère et sa nièce Ninette ou le petit Daydou (David) sont juifs. ( toutes les histoires vont tourner autour du thème de l’argent et du rôle caricatural et caricaturé de la mère juive)

Peppino Mangiaracina, dit Mastro Tchicho cultivateur de la Mornaghia (*), Donna Soussida et Donna Peppina mères de famille sont siciliens (contraste entre personnage moqué mais respecté et commères siciliennes faiseuses d’histoires et un peu vulgaires).

Djouss le boucher et Gianni le cocher sont maltais, (c’étaient en effet des métiers presque exclusivement exercés par des maltais).
Le lecteur non averti, se demande : mais dans quelle société sommes-nous, où pour identifier les gens, on mélange au gré des situations et indifféremment,  langues, nationalités, religions?

Pour tout dire cette société a existé, dans la Tunisie coloniale. On ne pouvait pas imaginer qu’un policier ne soit pas Français et …. Corse, de même un juif est par définition commerçant et tant pis pour tous les citoyens de religion juive qui sont fonctionnaires, médecins, avocats ou simples employés.

D’autres particularités de l’univers de Kaddour Ben NItram : il avait emprunté son prénom à un camarade de combat, il a pour le Kaddour de ses sketchs une certaine tendresse et en même temps il pratique la dérision : Kaddour se sent un peu Français puisqu’il a servi dans l’armée française, mais il parle très mal le Français, et au fond il est fondamentalement tunisien, arabe et musulman ; le maltais ne peut être que boucher ou cocher, on ne se pose même pas la question de savoir si les maltais exercent d’autres professions, le sicilien est toujours appelé par son diminutif, on a parfois accolé à ce diminutif mastro qui est la traduction littérale de maître dans le sens de maître ouvrier pour marquer la déférence, tout en étant copieusement moqué.


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 29 juin 2012 : 02:39

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C’est dans ce monde codé que se meut cet acrobate des mots et ce marionnettiste de génie de l’expression qui met en scène une société naïve, colorée mais remarquablement vivante.

Et tout cela dans une langue imagée et imaginative.

Ses morceaux d’anthologie sont les fables de La Fontaine détournées et racontées en Sabir. Je n’ai pas pu résister au plaisir de faire partager cette langue.

La petite scène qui va suivre est significative par bien des aspects des rapports entre personnes d’ethnies différentes, elle résume assez bien la comédie humaine qui se joue au quotidien dans les rues et les lieux publics.

Pour certaines pages la traduction seule ne permet pas de contextualiser l’échange, un décodage particulier s’impose.
Ce qui reste remarquable c’est que le propos de chaque protagoniste est restitué avec les erreurs de prononciation dans la langue de l’autre.

Les traits sont certes grossis, toutefois cette scène est tout à fait probable dans la vraie vie, tous les jours partout des conflits naissent et finissent par des insultes à la limite du racisme, appropriées à un groupe ethnique, comme si Français, Siciliens, Arabes, Juifs, Maltais avaient chacun des travers propres à leur groupe, dénoncés par l’autre groupe.

Une étude plus approfondie montrerait sans doute, qu’il y a beaucoup moins d’agressivité qu’il n’y paraît ; Kaddour Ben Nitram a incontestablement une grande tendresse pour ses personnages, on ne peut pas les croquer avec autant de précision sans les aimer. De même cet homme qui met souvent dans la bouche de ses personnages des propos racistes, ne l’était pas du tout, bien au contraire.

Le statut colonial de la Tunisie est toujours sous-jacent et affleure à la moindre occasion soit pour venir en appui du sentiment de domination, soit pour en exprimer le rejet.

L’attitude du policier reste bon enfant, il n’entre pas dans le débat interethnique, il tente seulement d’arbitrer la situation, et c’est pour cela qu’il apparaît auprès des autres personnages comme un référent de justice.

[center]CHAPITRE 8

A propos d’une douzaine de rougets


( la traduction est précédée d’un (T))
(Scène de la vie tunisienne, mettant aux prises deux commères siciliennes avec un arabe vendant du poisson. Intervention d’un agent de police (corse).

L’arabe est installé rue El Karamed (1), arrose de temps en temps, ses poissons en criant : « bella triglia vivi, heï !...Aou l’khout freschk…ya baba !... Ber khis!..ber khis!..ya oueldi  »
(T)L’arabe est installé rue El Karamed, arrose de temps en temps, ses poissons en criant : « jolis rougets vivants ( en sicilien)  hé voilà du poisson frais… mon père !.. excellent!... excellent !... mon fils (en arabe) »
Deux siciliennes, Donna Soussida et Dona Peppina, en quête d’achat s’arrêtent devant le marchand.
Donna Peppina s’adressant à sa commère (2): « Donna Soussida…Ah ?… taliaté ca sounnou bèddé sti pichi ca coura bedda tissa…»(3)
(T)Donna Peppina s’adressant à sa commère (*) :« Madame Soussida…Ah ?... regardez, ils sont vraiment beaux ces poissons ils ont la queue bien raide…(en sicilien)»

Donna Soussida :« Coummarè mia… ma, qui vi parènno frisqui ? »
(T)Donna Soussida : «ma chère commère…mais est-ce qu’ils vous semblent frais (en sicilien) ? »
Donna Peppina : « N’ca sa sounnou frischi ?... Bedda Matré !..noun vous rissi ? taliatè tchi la coura…iènè quiou tissa qua quidda dou chèco di mastro Pèppè »
(T)Donna Peppina : « Quoi s’ils sont frais ?... Bonne Mère!...ne vous l’ai-je pas dit ? regardez leur queue… elle est plus raide que celle de l’âne de maître Pèppè (en sicilien)»
Donna Soussida : « N’ca…vérèmo stou moro quouanto n’è vouolè : (interpelant l’arabe) Ya(4)…Ya… »
(T)Donna Soussida : « Bon…voyons combien cet arabe en veut ?(en sicilien) : (interpelant l’arabe) Eh…Eh… »
L’arabe : « Ha ?...Ch’noua ? »
(T) L’arabe : « Ha ?...qu’y-a-t-il ?(en arabe) »
Donna Soussidda : « Ya ?...A quouanto sti pichi ?.... Ah! Ya?... Goulo…. Kaddèchè? »
(T) Donna Soussidda : « Eh ?... Combien pour ces poissons(en Sicilien) ?.... Ah! Eh?...dis-moi…. Combien (en arabe)? »
L’arabe : « Cosa volè…. Biclou(5) ?.... ou grandi ? »
(T)L’arabe : « lesquels veux-tu….petits ?....ou grands (en sicilien avec des fautes de prononciation)? »
Donna Soussida (montrant les petits) : « Quisti… Quisti cà ! »
(T) Donna Soussida (montrant les petits) : « ceux-là… ceux-là (en Sicilien)! »
L’arabe : «  Quisto ?....Setta frank…. Dezzina !... »
(T) L’arabe : «  celui-ci?....Six francs….La douzaine (en Sicilien avec une faute de prononciation) !... »
Donna Soussida (sursautant): «  Quouantou? »
(T)Donna Soussida (sursautant) : « Combien? (en Sicilien) »
L’arabe (s’impatientant) : « Ch’noua quouantou ?... Ma tefem’chi ? Got’lek setta frank dezzina, ya ras-el-brel !... »
(T) L’arabe (s’impatientant) : « Quoi (en arabe) combien ?(en Sicilien)... Tu ne comprends pas ? Je t’ai dit six francs la douzaine, espèce d’âne !... (en arabe et en sicilien)  »

Donna Soussida (stupéfaite) : « sette franqui à doudzzina(6) ?... Bedda matrè ! Taliatè, taliatè, pitchiottè…Mèguio, què n’accatamo n’ou beddou matsou di sparachèddè… »
(T)Donna Soussida (stupéfaite) : « six francs une douzaine ?... Bonne mère !regardez, regardez les amis…Il vaut mieux que nous achetions un joli bouquet de broccolis… (en sicilien)»
Donna Pippina  (s’adressant à sa commère) : « Ma, coummarè mia…,ou nou sapiti commo aviti à farè qui mourisqui ? Dichitichi qua vi lassa pi tri franqui…Aspèttatè qua tchi lou riccou io (s’adressant à l’arabe) : Ya ! Ya !...Moghamèddè(7) ! Ah ? mi lassi sti pichi pi touleta (8) franqui ? »
(T) Donna Pippina  (s’adressant à sa commère) : « Mais chère, commère …,vous ne savez pas comment vous devez faire avec les arabes ? Dites-lui qu’il vous les laisse pour trois francs… attendez je vais lui dire moi-même (s’adressant à l’arabe) : Eh ! Eh !...Mohameddè ! Ah ? tu me laisses ces poissons pour trois francs ? (en sicilien)»
L’arabe (énervé) : « Ch’noua ?...Eddè tleta franqui ?... Cherr !... in endinomok !... »
(T) L’arabe (énervé) : « Quoi ?...Cà trois francs ?... Cherr !... la putain de ta mère !...(en arabe) »
Donna Pippina (tenace) : « Aïa…Moghamèddè ! Noun t’incatzzarè à cousi presto…Aïa ? »
(T) Donna Pippina (tenace) : « Allez…Mohamed ! Ne te fâches pas si vite…Allez ? (en sicilien)»…
L’arabe : « Vaï ! Vaï !....gotlek… 
(T) L’arabe : « Va-t-en !Va-t-en ...je t’ai dit (en arabe)… »
Donna Pippina (sans se départir de son calme) : « Aïa, moulia…. Ti rouniou tri franqui ou noussou… »
(T) Donna Pippina (sans se départir de son calme) : « Allez, s’il te plaît…. Je te donne trois francs (en sicilien ) et demi… (en arabe)»
L’arabe (énervé) : « Barra….Yatik bâk’là !... 
(T) L’arabe (énervé) : « Fous le camp….tu as…. !(en arabe) »
Donna Pippina (qui n’a pas compris l’injure) : « Baccala ? …Baccala ?...Quistou baccala ? Ma qui si, foddo ? Ma qui si,Maboullou(9) ? Quisti triquiè sounnou…qui mi coun’tè di baccala »

(T) Donna Pippina (qui n’a pas compris l’injure) : « Morue ? …Morue ?...cà de la morue ? Mais tu es fou (en sicilien) ? Mais tu es fou (en arabe) ? ça ce sont des rougets…qu’est-ce que tu me parles de morue(en sicilien) »
L’arabe (s’impatientant) : « Aïa Aïa ! Yezzi mel t’menik ! Setta frank dezzina, fem’t ? Si voï, brin’di…Si non voï lassa. Ou ma t’kassernichi rassi… »
L’arabe (s’impatientant) : « Allez allez ! Ca suffit va te faire foutre!(en arabe) Six francs la douzaine(en sicilien) tu as compris(en arabe) ? Si tu veux, tu prends…Si tu ne veux pas tu laisses(en sicilien avec des fautes de prononciation) Et ne me casse plus la tête (en arabe)»
Donna Pippina (tenace) : « Sentè Moghamèddè…Mi lassè pi tri franqui i dourrichi souoddè ? »
(T)Donna Pippina (tenace) : « Ecoute Mohamed…Tu me les laisses pour trois francs et douze sous ?(en sicilien) »
L’arabe (décidé) : « Noun…Noun…gotlek » ; (aspergeant ses poissons, il crie) : « Bella triglia vivi, hei…Aou l’khout freschq…Ya Baba !... Achkoun ma ïelcol’chi ?... Bella triglia vivi… »
(T) L’arabe (décidé) : « Non…Non…je te l’ai déjà dit(en arabe) » ; (aspergeant ses poissons, il crie) : « Beaux rougets vivants(en sicilien) he …. J’ai des poissons frais…Mon père !... Pourquoi n’en mangeriez-vous pas (en arabe)?... Beaux rougets vivants…(en sicilien) »
Donna Pippina (revenant à la charge) : «  Aïa, Moghamèddè, a coussi mi faï ? Ma piqui, ah ? A coussi mi voï fare’ irrè ? …Mi voï lassarè à voghia di pichi ? Aïa Moghamèddè, t’habbo abba franqui mènou quamessa souddè ? »
(T) Donna Pippina (revenant à la charge) : «  Allez, Mohamed, Pourquoi tu fais comme ça ? Mais pourquoi? Ainsi tu veux que je m’en aille ? …Tu veux que je reste avec une envie de poissons ? Allez Mohamed, tu veux quatre francs moins cinq sous ? (en arabe et en sicilien)»
L’arabe (se fâchant pour de bon) : « Pouh ! (9) !... In en dinomok !...Ti barra, ya kh’râ! In en din’l’babour (10) li jaïbek…Vaï, vaï…miliou mandgia l’babalouchi… »(11)
(T) L’arabe (se fâchant pour de bon) : « Pouh !... la putain de ta mère !...Fous le camp espèce de merde! Maudit soit le bateau qui t’a amené ici…( en arabe) Va, va…il vaut mieux que tu manges des escargots…(en sicilien) »
Donna Pippina (commençant à se fâcher) : « Cou ?...Io babaloucha? »
(T) Donna Pippina (commençant à se fâcher) : « Qui ?...moi escargot? (en sicilien)»
L’arabe : « Si… tou babaloucha… »
(T) L’arabe : « Oui… toi escargot…(en sicilien) »
Donna Pippina: «  Aïa, ya.. Sent’sa ansourtarè saï ? Masseno…virè, qua ti rounio oun tinboulounè nou moussou, qua ti fatssou ou nassou commou oun piparèddou… »
(T) Donna Pippina: «  Allez, dis ya . N’insultes pas parce que tu sais ? Sinon je te file une beigne sur le museau, et je te mets le nez comme un poivron …(en sicilien)  »
L’arabe : «Qui ? tou ?... »
(T) L’arabe : «Qui ? toi ?... (en sicilien)  »
Donna Pippina  : «Si !... io…. Qui ti pare qua mi scanto ? »
(T) Donna Pippina  : « oui!...moi…. Tu crois que j’ai peur ? (en sicilien)  »
L’arabe (perdant toute mesure) : « Vaï, vaï la casa, vaï ! Ouaillaï l’adim… toâ n’ahiloun din’ommo ! »(12)
(T) L’arabe (perdant toute mesure) : « Vas-t’en chez toi, vas-t-en (en sicilien) ! Je jure sur dieu… et je te dis putain de ta mère (en arabe)  ! »
Donna Pippina: « A tia n’endin’omoko, gran petsou di ch’quiffioussou ! »
(T) Donna Pippina: « A toi putain de ta mère(en arabe)  espèce de mal appris (en sicilien)  ! »
L’arabe : «In en din bouk, ya bez’rà !. »
(T) L’arabe : «Putain de ton père, femme vulgaire(en arabe) ! »
Donna Pippina: « N’en dinouboukkou à tia et quiddou da fitoussa di to nana! »
(T) Donna Pippina: « Putain de ton père (en arabe) à toi et à ta salope de grand-mère(en sicilien) ! »
L’arabe : « Ti barra, ya kh’ra. »
(T) L’arabe : « fous le camp, merde. (en arabe) »
Donna Pippina: « Ch’quiffioussou ! testa ‘fachatta ! (13)»
Donna Pippina: « Mal appris ! tête enveloppée »(en sicilien)
L’agent de police corse Batistacciou, de service place de la Bourse, attiré par les cris s’approche :
Batistacciou : « Hé, là ! Hé, là ! Vous avez pas fini, miseriacce ! de faire tout ce scandale sur la voie publique ? Vous criez là tous les deux, quasiment, comme si y avait le feu à la municipalité ? Voyons, qu’est-ce qu’il y a ? »
L’arabe : Tiens, regarde (en arabe), Monsieur le Policier…je jure sur ta tête que cette italienne m’insulte… »(en sabir avec une base de français)
Donna Pippina (l’interrompant) : « Non, Monsieur non ce n’est pas vrai, Monsieur le Policier, ce n’est pas vrai !...Cet arabe m’a insulté, pourquoi… »(en sicilien)
Batistacciou (coupant court) : « Bon ! Bon ! ça suffit !... »[/center]


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 06 juillet 2012 : 20:37

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(1)La rue El Karamed est une rue qui se trouve au début des souks , on y trouve quelques échoppes d’alimentation, notamment la rôtisserie de merguez et d’abats d’agneau la plus connue et la plus réputée de Tunis.

(2 )Les Siciliens sont en général très croyants, le baptême est un acte important, le parrain ou la marraine sont souvent un voisin, une amie proche ; par cet acte une très grande intimité se crée et demeure. Dès lors la famille du baptisé et le parrain ou marraine se donne du compère, ou commère.

(3) Pour ces dames siciliennes, la référence pour marquer la fraîcheur, c’est lorsque le poisson est raide et forme un arc de cercle, posé il a la queue en l’air.

(4) ‘Ya’ est en arabe un mot clef pour interpeler quelqu’un.

(5) Confusion du P et du B dans la phonétique arabe.

(6) Douzaine : l’arabe prononce de manière erronée, mais cela n’empêche pas la compréhension et le dialogue de se poursuivre.

(7) Quand un sicilien s’adresse à un arabe il lui donne toujours le prénom de Mohamed, car c’est le prénom le plus courant parce qu’il est dérivé du nom du prophète. Cet état de fait est tacitement accepté par tous, même si ce n’est pas son prénom.

(8) Le trois en arabe est repris avec la phonétique italienne

(9) le mot fou est dit en sicilien , puis en arabe (légèrement sicilianisé, (la répétition le rend plus percutant).

(10) Les siciliens sont souvent traités de mangeurs d’escargots, ce qui équivaut à une insulte telle que misérable, pauvre ou va-nu-pieds (car les escargots ne s’achètent pas)

(11) Les arabes n’ont jamais admis leur statut de colonisés, dès qu’un conflit avec un européen survient, la référence à la colonisation est tout de suite exposée.

(12) l’insulte peut paraître gravissime dans la traduction française, toutefois très fréquemment utilisée, elle perd de sa force.

(13) les femmes arabes portent le voile, les hommes la chéchia, les siciliens en parlant de tête couverte ou littéralement de tête enveloppée soulignent de manière négative, équivalant à une insulte, la caractéristique vestimentaire de la communauté arabe.

La scène à laquelle nous venons de participer, est sans doute burlesque et cocasse, mais peut-on imaginer une pareille scène aujourd’hui, avec de telles expressions et de tels mots ; à l’heure où les différentes sensibilités ethniques sont d’une susceptibilité à fleur de peau, de tels dialogues paraîtraient totalement incongrus.

C’était pourtant le théâtre de la vie quotidienne à Tunis, que Kaddour Ben Nitram avait su capter et restituer mieux que quiconque.

Les insultes fusent, et même si dans certains milieux populaires, ces propos correspondent à une certaine façon de s’exprimer, ce langage très coloré et très fleuri n’est pas étranger au cosmopolitisme de la Tunisie des années 50.

CHAPITRE 9

La cigale et la fourmi en contes sabir imités de La Fontaine

J’y conni one cigale qui tojor y rigole
Y chante, y fire la noce, y rire comme one folle,
Y s’amouse comme y faut
Tot l’temps y fi chaud.
Ma voilà, qui fi froid !!!
-Bor blorer t’y en a le droit
Ma, t’a riann por bouffer
Bar force ti va criver.-
Y marchi bor la rote
Y trovi one formi
Qui porti bon cascrote.
Y loui dit : «  Mon zami
Fir blizir bor priter
One p’tit po di couscousse
Bor que j’y soui manger
Josquà c’qui lhirb y pousse
J’y paye, barol d’onnor
L’arjany l’antiri, pas bizoann d’avoir por. »
La formi, kif youdi,
L’argeann y prite pas. –«  Quis t’y fir, y loui di,
Quand di froid y ana pas ?
-Le jour ji chanti, bor blizir
La noui j’y suis dormir
-Ti chanti ? Bor moi ji pense
Qui millor qui ti danse. »
Morale
Li jouif y couni pas quisqui cit la mousique
Millor di bons douros, afic bon magasin
Qu’one tam-tam magnific
Qui l’embite li voisin


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 08 juillet 2012 : 01:27

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Tentative de traduction en vers

Je connais une cigale qui toujours rigole
Elle chante, elle fait la noce, elle rit comme une folle,
Elle s’amuse comme il faut
Pendant qu’il fait chaud.
Mais voilà, qu’arrive le froid !!!
Pleurer ; tu en as le droit
Mais, tu n’a plus rien à bouffer
Forcément tu vas crever.
Elle marcha sur la route
Elle rencontra une fourmi
Qui portait sur elle un bon casse-croûte.
Elle lui dit : «  Mon amie
Je te prie de me prêter
Un peu de couscous
Pour que je puisse manger
En attendant que l’herbe pousse
Je rembourse, parole d’honneur
Le capital, les intérêts pas besoin d’avoir peur »
La fourmi, comme les juifs,
Ne prête pas l’argent –«  Que faisais –tu, lui dit-elle
Quand il ne faisait pas froid ?
-Le jour je chantais, pour mon plaisir
La nuit je la passais à dormir
-Tu chantais ? Et bien moi je pense
Qu’il est préférable que tu danses. »
Morale
Le juif ne connaît pas ce qu’est la musique
Il préfère les pièces d’or, gagnées dans un bon magasin
Que le tam-tam magnifique
Qui ennuie les voisins.

La référence aux juifs est surprenante et inattendue, elle pourrait laisser penser que Kadour Ben Nitram est antisémite, or selon certains biographes l’auteur de ces vers serait lui-même juif. Il faut plutôt, aller chercher dans la galerie des portraits schématiques et sans concession qu’il met en scène.


CHAPITRE 10

Le petit coiffeur de Sidi Bou-Saïd
- Ma chère, vous qui vivez à Paris, notre bon climat de Carthage ne vous manque-t-il pas ?
- Ce qui me manque le plus c’est la mer, le dimanche mes parents nous emmenaient promener du côté de Sidi Bou Saïd.
- Alors là vous touchez à mes plus beaux souvenirs, du haut de la colline on avait la vue sur le Boukornine, et puis les rues qui sentaient si bon, le jasmin, le chèvrefeuille et l’oranger.

Sidi Bou Saïd est une petite colline verdoyante qui fait face à la mer, située à une vingtaine de kilomètres de Tunis. Dans l’Antiquité, les carthaginois puis les romains en avaient fait un poste d’observation afin de protéger leur cité construite en contrebas.

Après l’arrivée des arabes la colline devient un poste de guet important qui contrôle le Nord-est en protection de Tunis et prévient par les tours à feu qui y sont construites d’éventuels envahisseurs.

Elle prend le nom de Djebel Menara (la montagne du phare). Petit à petit la colline se peuple de pêcheurs. Mais le lieu est aussi propice à la méditation. C’est donc naturellement que des marabouts s’y installaient régulièrement pour faire œuvre de piété et d’abstinence. L’un deux qui professait le soufisme à Tunis, se retire sur le Djebel Menara et fait construire un ‘ribat’ (refuge pour les pèlerins). C’est là qu’il mourut en 1231, en son honneur on donne son nom à la colline.

Sa ‘zaouïa’ (monument funéraire et mosquée dédiée à un saint homme) est très fréquentée et constitue l’un des éléments fondateurs du village.

En réalité les marabouts étaient devenus maîtres du territoire, au point qu’ils interdisaient aux chrétiens de visiter le lieu de peur qu’ils ne le souillent. Le bey qui ne souhaitait pas ouvrir de conflit avec ces religieux, laissait faire.

Une autre légende sans doute beaucoup plus extraordinaire et plus romantique est rapportée sur l’origine de ce village ; on raconte que le tombeau en question serait celui d’un ancien roi de France, dont le bateau en route pour la croisade aurait mouillé dans le port de La Goulette.

Le roi serait descendu à terre et aurait eu un grand coup de cœur pour une jeune et jolie musulmane. Par amour il se serait converti à l’islam et aurait vécu une vie heureuse et serait mort à Sidi Bou Saïd.

Les chevaliers qui faisaient partie de sa suite, prétextèrent pour laver l’affront qu’il serait mort de la peste à Tunis. La référence à la présence et au décès de Louis IX (St Louis) est évidente. Bien que cette légende continue de courir en Tunisie et dans certains milieux de pseudo-historiens, elle n’a aucun fondement et le (sieur : sidi) Bou Saïd est bien enterré sur ce lieu qui porte son nom. Et le cœur de St Louis a été gardé en relique dans l’église qui porte son nom.

Plus tard au XVIIe siècle le charmant village attire la bourgeoisie tunisoise qui y fait construire des demeures luxueuses, au XIXe siècle le village attire de nombreux artistes et écrivains Gustave Flaubert et Alphonse de Lamartine ont fréquenté ce lieu, de même que Colette et André Gide bien plus tard.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 09 juillet 2012 : 12:55

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Aujourd’hui, lieu de passage obligé de milliers de touristes, les ruelles de Sidi Bou Saïd ont perdu de leur magie ; le café des nattes lieu de pèlerinage de la ‘gentry’ européenne est désormais la photo officielle de tous les dépliants invitant au voyage.

Une particularité qui dépasse le temps et les modes, demeure, c’est le blanc immaculé des murs sur lequel se détache le bleu turquoise des persiennes, des grilles de fenêtres, des moucharabiehs et des portes cloutées.

C’est tout naturellement Sidi Bou Saïd que choisit le Baron Rodolphe François d’Erlanger pour installer sa somptueuse demeure. Rodolphe d’Erlanger est le plus jeune des trois fils du baron allemand Frédéric Emile d’Erlanger né à Francfort sur le Maine. Il prend la nationalité anglaise et crée l’Erlanger Bank qui réalise de grosses affaires en investissant dans les emprunts que le gouvernement du Bey de Tunis a contractés entre 1863 et 1865 conduisant le pays à la ruine et au protectorat français.

Rodolphe est né à Boulogne sur Seine au cours d’un séjour de son père à Paris. Elevé dans la foi catholique il fait de solides études en Angleterre, mais parallèlement à la poursuite de l’œuvre de banquier, du père, il s’oriente vers les activités artistiques et notamment la peinture. Il devient ainsi un peintre orientaliste de talent. Il épouse le 19 juin 1897 Elisabetta Matilda Maria (Bettina) fille du comte Barbiellini Amidei l’Elmi.

De santé fragile (souffrant de troubles bronchiques) son père lui transfère toutes ses propriétés de Tunisie, le Baron Rodolphe d’Erlanger, lors d’un séjour en Tunisie en 1909 achète un terrain à Sidi Bou Saïd, il décide de vivre en Tunisie avec sa femme Bettina et son unique fils Léo, et dès 1912 il lance la construction d’un magnifique palais et la réalisation d’un merveilleux jardin qui donne sur la mer.

Cette construction d’architecture arabo-andalouse, durera dix ans. Nichée au bout d’une allée bordée d’arbres odorants ‘Dar El Baroun’ (c’est ainsi que les arabes désignait la maison du baron), bâtiment de couleur blanche aux fenêtres bleues comme toutes les maisons de Sidi Bou Saïd ne laisse rien deviner de la somptuosité des décorations intérieures. Les plus grands artistes arabes, espagnols, italiens ont œuvré pendant les dix années que durera la construction : plafonds de bois décoré et sculpté, piliers de marbre poli, céramiques arabes bariolées, stucs finement ciselés, sans oublier les mosaïques anciennes, fontaines et vasques.

Le mobilier choisi par la baronne n’en est pas moins prestigieux coffres en bois incrustés de nacre, vases en argent de l’artisanat tunisiens, verreries de Venise. La demeure du baron prit le nom ‘d’étoile de Vénus’ en arabe ‘Ennjema Ezzahra’ nom qu’elle a gardé jusqu’à nos jours.

C’est dans cette splendide demeure que le baron s’adonnait à ses deux passions : la peinture certes, mais aussi la recherche de la musicale orientale (il s’était initié au ‘quânun’ qui n’est autre que la cithare sur table). Il dirigea les travaux de découverte et recomposition de la musique arabe depuis le moyen-âge, la maladie et la mort l’empêcheront de mener à son terme l’œuvre qui sera poursuivie par ses disciples et permettra de réaliser le monumental et unique recueil de toute la musique arabe à travers les siècles.

Monsieur Paul avait 24 ans quand pour la première fois, il fut appelé auprès du Baron. Ce jour là le Baron d’Erlanger devait présider une réunion extrêmement importante avec des personnalités du monde culturel et scientifique.

Paul était coiffeur, sa réputation avait franchi les limites de Tunis car, contrairement à tous les autres coiffeurs, il avait décidé de se rendre à Paris pour se perfectionner dans la coiffure pour dames.

Nous sommes en 1926, la coiffure féminine est essentiellement pratiquée à la maison, seules les grandes dames se rendent dans les très chics et peu nombreux salons de la capitale française.

La plupart d’entres elles, sont coiffées chez elles par leur femme de chambre ; il n’est pas habituel de couper ses cheveux, encore moins de les faire friser. Seuls quelques coiffeurs considérés comme des artistes pratiquaient ce métier naissant.

Mme La Baronne qui se rendait souvent à Tunis fréquentait le plus beau salon de Tunis situé dans l’Avenue de Paris, car c’était le seul établissement qui possédait un appareil à friser, et elle préférait les coiffures, souples, amples et vaporeuses aux cheveux nettement coupés à la garçonne des années folles qui avaient accompagné la naissance du charleston. Il faut dire que Mme La Baronne s’habillait de manière stricte et classique ; Bettina c’était le diminutif de son prénom, nièce du Pape Léon XIII, était issue d’une famille de la noblesse italienne.

Paul était son coiffeur ; un jour elle lui demanda s’il était prêt à se rendre au Palais de Sidi Bou Saïd pour coiffer son époux qui était particulièrement occupé et qui ne pouvait se déplacer.

Monsieur Paul fut donc invité à Sidi Bou-Saïd, contrairement à aujourd’hui où l’on appelle un peu familièrement les coiffeurs et les coiffeuses par leur prénom, à cette époque on ajoutait au prénom, Monsieur ; très rarement Madame ou Mademoiselle la coiffure étant presque exclusivement exercée par des hommes.

C’était une marque de déférence et de courtoisie utilisée par les grandes dames. Paul avait rencontré une fois seulement le Baron, celui-ci lui réserva un accueil très simple et un brin amical. Le Baron Rodolphe d’Erlanger était un très bel homme de cinquante quatre ans ; il portait une moustache discrète, ses cheveux étaient légèrement grisonnants assez courts, bien qu’il soit avare de mots, il s’exprimait dans un Français impeccable.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 11 juillet 2012 : 01:49

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Paul traversa le long couloir qui conduisait à la grande salle de réception, puis toute une enfilade de petits salons richement décorés,  puis il emprunta la grande salle à manger où se trouvait la si célèbre table de marbre jaune qui aurait appartenu dans l’Antiquité, à un proconsul romain et il introduisit son hôte dans son atelier de peintre.

C’est là que le Baron passait une grande partie de sa journée à reprendre les détails de ses paysages et de ses personnages. L’atelier était tout en longueur, au fond se trouvait une large baie vitrée.

Il était orienté au nord-est pour profiter de la lumière particulière que donne cette orientation. On dit que c’est la lumière des peintres car elle est constante, il y a très peu d’ombres portées, et les couleurs sont moins vives, moins éclatantes. Le Baron était un peintre orientaliste renommé et Paul découvrait cet univers qui non seulement était fait de couleurs mais également d’odeurs. C’est dans l’atelier de Rodolphe d’Erlanger que Paul installe sur une petite table, les ciseaux, le peigne, le rasoir coupe choux, le blaireau, le savon à barbe, le bol de rasage, le cuir à affuter et la pierre d’alun pour les petits saignements de la peau.

Il commence consciencieusement par préparer la mousse à raser, puis il enduit le visage de son client, il affute son rasoir et d’un geste sûr et précis il coupe la barbe. Après avoir passé une serviette blanche sur le visage, pour retirer le surplus de mousse, il passe aux moustaches, les ciseaux actionnés avec maîtrise affinent le poil.

Toutes ces opérations se sont passées dans un silence complet, la technique du barbier mérite la plus grande précision, aucun geste inutile, la lame glisse sur la peau, cinq minutes à peine se sont écoulées.

La barbe terminée, commence la coupe de cheveux, là aussi les gestes sont rapides et précis, le baron met un terme au silence qui s’est installé et pose à son coiffeur quelques questions sur son travail, ses occupations, la glace est rompue. Le baron qui a apprécié le silence professionnel, montre ainsi, dans cette période plus détendue qu’il s’intéresse à l’homme qui est à ses côtés. Sans interrompre le cliquetis de ses ciseaux Paul raconte son parcours, ses débuts comme apprenti à l’âge de neuf ans chez un barbier arracheur de dents comme tous les barbiers depuis le moyen-âge, sa formation, son orientation vers la coiffure pour dames, ses voyages à Paris, le baron s’intéresse à tout, il prolonge la discussion sur les détails.

La coupe s’achève, le coiffeur tel un peintre s’éloigne de quelques pas pour vérifier l’aspect d’ensemble de son travail, satisfait du résultat, il propose au baron de se regarder dans une glace, il sort de son sac une petite glace et montre l’arrière de la tête et la nuque. Devant le signe d’approbation de son client, il remercie et range calmement ses ustensiles dans son sac.

Le Baron le conduit dans un petit salon non loin de l’atelier où il commande quelques rafraîchissements. Depuis ce jour Paul est devenu le coiffeur de toute la famille d’Erlanger. Paul finit par devenir quasiment un familier de la maison d’Erlanger. Une fois par quinzaine, lorsqu’il se présentait au palais, le major d’homme et la femme de chambre de la baronne l’introduisaient dans le salon d’honneur, on lui préparait le café, à ce moment le baron ou la baronne faisaient leur apparition et après un brin de causette on passait soit dans l’atelier de peinture soit dans un salon des appartements privés et là le travail artistique du coiffeur commençait.

Monsieur Paul était ainsi petit à petit entré dans les confidences de M le Baron ; il lui faisait part de ses projets, de ses rencontres de ses activités, après un voyage à Paris, Londres ou le Caire. Le petit coiffeur savait depuis longtemps que le Baron outre le fait d’être un banquier averti et respecté sur la place de Londres, d’être un peintre orientaliste de renom, était un musicologue particulièrement raffiné ; il savait tout de ses projets de rassembler tous les écrits et même des textes anciens sur la musique arabo-andalouse et arabo-berbère ; mais parfaitement insensible à la musique arabe, il ne pouvait prendre la mesure de l’extraordinaire travail de Rodolphe d’Erlanger.

Ce lundi matin d’avril 1930, Paul arriva par le TGM à Sidi Bou Saïd comme il en avait désormais l’habitude. Le fond de l’air était doux, la mer déroulait ses flots bleus, le Boukornine étalait paresseusement, sa large silhouette, le ciel était d’un bleu limpide comme seule la Tunisie peut vous l’offrir. Tout au long du chemin de la gare au palais les orangers aux fleurs naissantes embaumaient.

Seul, l’étranger qui arrive avec son œil ignorant de ces beautés est stupéfait et émerveillé par l’esthétique majestueuse de ces paysages.
Il entra dans l’atelier du Baron, celui-ci lui parut plus enjoué qu’à l’accoutumé. « Paul, car seul le Baron l’appelait Paul, nous allons réaliser la plus belle des aventures, le roi Farouk (Farouk 1er, roi d’Egypte) vient de nous permettre de traduire et mettre en forme les manuscrits de la musique arabe depuis le moyen-âge qui se trouvent au Caire. Ce ‘nous’ amical surpris le coiffeur, il connut bien plus tard la signification de ce projet, mais il ne sut jamais qu’il s’agissait de l’œuvre la plus monumentale réalisée pour la connaissance de la musique arabe à travers son histoire.

L’année 1932 ne commença pas sous les meilleurs hospices ; Léo le fils du Baron reçut Paul à Sidi Bou Saïd, au cours de leur entretien il lui apprit que son père avait été bien fatigué au cours de la semaine au point d’être hospitalisé. La maladie se déclara dans les semaines suivantes.

Le baron dirige l’équipe de chercheurs qui travaillent depuis deux ans à l’histoire de la musique arabe, il est obligé d’interrompre son activité. Semaine après semaine Paul se rend au palais et rafraîchit cheveux et barbe, parfois le baron est couché le petit coiffeur ne manque pas une seule visite. Après chaque séance le visage du malade semble plus serein. Désormais Paul rejoint le baron directement dans sa chambre, parfois il est accompagné par son fils ou bien par la baronne, cette toilette du visage semble soulager le patient de ses douleurs. La santé du Baron s’aggrave au cours de l’été ; le 25 octobre 1932 il est hospitalité d’urgence à Tunis, il décède le 29 octobre 1932.

Il est inhumé dans le jardin de sa maison de Sidi Bou Saïd. Sa pierre tombale reçoit des tunisiens reconnaissants l’épitaphe en langue arabe sculptée sur la pierre qui commence par ces mots : «  De tes précieux bienfaits les arts et les lettres se souviennent » et se termine par ces mots : «  C’est là le témoignage de la fidélité de l’Art à son Père Spirituel » ; Quelques semaines après Paul se rend auprès de La Baronne, les larmes aux yeux il coiffe la baronne c’est le premier soin capillaire depuis le décès de son mari.

C’est aussi la dernière visite du petit coiffeur à Sidi Bou Saïd. Désormais la famille d’Erlanger se rend au salon, la fidélité réciproque sera maintenue au-delà de la mort du Baron, Paul coiffera Bettina la Baronne jusqu’à sa mort, et les enfants ne connaîtront à Tunis qu’un seul coiffeur : Paul.

Les descendants du Baron d’Erlanger ont légué à la Tunisie ‘Ennjema Ezzahra’ c’est un monument historique classé, il abrite aujourd’hui le ‘Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes’ et c’est l’un des plus visités de Tunis et de ses environs.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
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Date: 12 juillet 2012 : 01:40

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CHAPITRE 11

La calèche de la Koubba

- Ma chère amie j’ai été invitée cette année par mon amie de Toulon. Cette ville est assez extraordinaire car elle est située entre mer et montagne. D’ailleurs mon amie m’a conduite sur le Mont Faron, du belvédère on peut admirer la magnifique rade qui abrite une partie de notre marine de guerre.

- En parlant de belvédère, vous souvenez-vous du Belvédère de Tunis, ce parc absolument délicieux où, petite fille, mes parents m’y amenaient le dimanche. Il s’appelle ainsi parce que son concepteur (le jardinier de la ville de Paris) du sommet de la colline sur laquelle il est implanté, pouvait admirer le golfe de Tunis et le lac Bahira.

Le Belvédère fut créé en 1892 sous l’impulsion de Joseph Lafacade qui était alors jardinier en chef de la ville de Paris et qu’on appela à la rescousse pour créer un parc dans cette ville qui manque cruellement d’eau en dehors des lagunes salées que sont la sebka de l’Ariana au nord et plus au sud celle de Sedjoumi.

Le diagnostic ne se fit pas attendre et la colline qui domine à l’est la vieille ville de Tunis et à l’ouest la grande plaine de l’Ariana retint toute son attention. Avant l’arrivée des Européens cette colline était entièrement couverte d’oliviers, cette immense oliveraie fournissait en huile et en savon (l’huile d’olive a longtemps constitué la matière première du savon) les habitants de Tunis.

Un magnifique parc à l’anglaise fut dessiné sur plus d’une centaine d’hectares. La particularité de ce parc est qu’il est traversé à la fois par des routes carrossables, des sentiers piétonniers propices aux promenades et à la méditation et par des allées cavalières.

Très rapidement on a agrémenté le Belvédère d’un pavillon ouvert qui tombait en ruine dans les jardins du palais de La Rose, ancienne demeure beylicale qui fut transformée en académie militaire et en casernement pour la cavalerie commandée pendant longtemps par Kheirredine Pacha personnage important de l’histoire tunisienne. Ce kiosque qui s’appelle la Koubba et qui fut construit au XVIIe siècle est un vrai joyau de l’architecture arabe, très modeste dans ses dimensions, il n’en reste pas moins un pur trésor de finesse et d’élégance.

Ce kiosque est surmonté d’une coupole par quatre fines colonnes. Dans les galeries ouvertes on peut y admirer des vitraux, des stucs finement sculptés et ouvragés, et des mosaïques en céramique dans le pur style de Fez.

On a également remonté une ‘midha’, un de ces bassins qui se trouvent dans les salles aux ablutions des mosquées, celui-ci a été trouvé non loin de la ‘Zitouna’ la plus grande mosquée de Tunis et sans doute l’une des plus anciennes du monde arabe et musulman.

En automne lorsque les après-midi sont chaudes et douces, le Belvédère a sans aucun doute, enchanté les belles dames de la bonne société, qui devisaient dans la calèche qui les promenait, des futilités d’une vie insouciante.

Pour nous, les enfants, une promenade au Belvédère était synonyme de jeux de cache-cache et de courses éperdues à travers les frondaisons des bosquets. Ces sorties s’accompagnaient toujours des mêmes récriminations de nos mères qui s’inquiétaient de nos joues écarlates et de nos têtes dégoulinantes de transpiration.

Dans les années 50 les endroits les plus fréquentés étaient le Casino du Belvédère où se produisaient des artistes venus d’Europe, et la piscine municipale qui a vu éclore quelques grands champions. C’est là que de nombreux gamins de Tunis ont appris à nager avant d’exercer leurs talents dans les belles plages qui longent le TGM.

Aujourd’hui, le Belvédère est un parc réputé et incontournable pour les visiteurs étrangers, les autorités municipales ont créé un zoo et un jardin botanique.

Giacomo VELLA était cocher et propriétaire de calèche, il avait six chevaux et deux calèches. Les calèches tunisiennes sont comme toutes les calèches dans les pays chauds, entièrement découvertes ; quand une pluie aussi rare que capricieuse s’abattait sur la ville une bâche très vite tirée protégeait les clients. On disait qu’il était ‘patron Karotzin’ car en maltais et Giacomo VELLA était maltais on appelait une calèche, un karotzin.

Les calèches à Tunis avaient comme principale fonction de transporter les gens d’un point à un autre comme n’importe quel taxi, accessoirement elles servaient à la promenade. Contrairement à la plupart de ses collègues qui parcouraient les rues de la ville en quête d’un client, Giacomo avait ses habitués.


Tous les matins après avoir bouchonné ses chevaux et curé leurs sabots, il en attelait deux à la calèche, il choisissait la paire de telle sorte qu’ils s’entendent bien une fois solidairement attachés. Tous ces gestes étaient accomplis avec une très grande maîtrise et un savoir faire propre aux palefreniers les plus avertis. Après s’être assuré que les mangeoires convenablement remplies avaient été placées dans le coffre qui servait de siège au cocher, il quittait l’écurie de la rue Damrémont et allait se placer à Bab El Khadra.

C’est là que ses clients l’attendaient, il pouvait arriver qu’il les attende et il chargeait trois ou quatre personnes qui parfois ne se connaissaient pas ou n’étaient pas de la même famille avec leurs couffins et leurs paniers et les conduisait au Marché Central. Il empruntait toujours le même itinéraire, l’avenue de Lyon, puis l’avenue de Paris, l’avenue de France enfin la rue Charles De Gaulle, une demi heure après il déposait ses passagers.

Il arrêtait sa calèche rue d’Espagne, mettait autour du cou des chevaux la mangeoire qu’il avait garnie le matin et s’en allait chez le marchand de beignets tout proche, manger un de ces beignets à l’huile (fteïr en arabe) au goût incomparable. Ensuite il fallait sacrifier au thé à la menthe. Après un brin de causette avec le ‘fteïr’ ( le mot ‘fteïr’ indique indifféremment le marchand et le beignet), il retournait à la calèche récupérer clients et marchandises achetées.

Giacomo refaisait le chemin inverse et déposait ses clients à Bab El Khadra. Il terminait sa matinée par une ou deux courses occasionnelles ou déjà programmées.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 15 juillet 2012 : 18:37

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De retour chez lui, Giacomo VELLA prenait soin de détacher les chevaux, il les brossait soigneusement après les avoir abreuvé, puis il les replaçait dans leur stalle où ils pouvaient à loisir se reposer jusqu’au lendemain.

Giacomo entrait ensuite à la maison et après une brève toilette, il s’asseyait à table et partageait le repas avec sa femme et ses enfants.

Après une courte sieste réparatrice Giacomo reprenait son activité de cocher pour l’après-midi il attelait ses plus beaux chevaux à la robe alezan brûlé qui donnait aux muscles un plus grand sentiment de vigueur et de noblesse. Il reprenait avec minutie le cérémonial du matin et ne laissait rien au hasard. C’est que les après-midi de Giacomo étaient consacrés à la promenade de clients fortunés.

Giacomo VELLA avait réussi à se spécialiser dans la promenade commentée qui était pour l’époque une nouveauté absolue. Giacomo n’avait que son certificat d’étude, mais à l’école primaire (la seule qu’il ait fréquentée), il était le premier en histoire géographie et cette préférence était devenue pour lui une vraie passion.

Chaque fois qu’un client quelque peu érudit montait dans son ‘karotzin’ il buvait ses paroles et s’instruisait de ses connaissances. Il avait fini par acquérir une solide instruction qu’il avait développée en outre par les visites fréquentes de monuments et de curiosités dans lesquelles il entraînait ses clients. Il était devenu un solide connaisseur de l’histoire tunisienne qu’il rapportait à ses riches promeneurs tout en leur faisant admirer la finesse architecturale des édifices modernes et anciens.

Son parcours favori le conduisait immanquablement au Belvédère. Il se rendait d’abord près de l’église Ste Jeanne d’Arc de style mauresque, là où se trouvait les plus belles villas et où résidaient (comme disaient nos parents : les gens bien, c'est-à-dire assez fortunés), il chargeait souvent deux ou trois dames et se rendaient au Belvédère.

Lorsqu’après avoir franchi les portes monumentales il s’engageait dans les allées, il commençait son exposé, les chevaux se mettaient au pas, ils connaissaient si bien le chemin qu’il n’était pas nécessaire de les guider.

Chaque bouquet d’arbre avait son histoire, Giacomo ponctuait son propos, d’anecdotes survenues à des personnes connues qui avaient également arpenté les allées du Belvédère. Et puis arrivait un moment attendu des visiteuses : la petite halte devant la Koubba, Giacomo en bon guide faisait l’historique de ce pavillon qui tombait en ruine dans les jardins du Palais de La Rose, lorsqu’il fut remonté pierre par pierre dans le parc.

La Koubba de son vrai nom ‘Kobbet El Haoua’ qui signifie la Coupole aux brises (ce nom lui va très bien car le bâtiment est ouvert) ou encore la Coupole de l’amour fut réalisée au XVIIe siècle et demeura longtemps un peu seule jusqu’à cette année de 1793 où fut édifié un magnifique palais par Hammouda Pacha bey de Tunisie, il en fit sa résidence d’été. Le palais qui est connu sous le nom de ‘Borj El Kébir’ qui signifie ‘Grand Palais’ est l’une des plus grandes merveilles de l’art architectural tunisien ; il n’y a rien d’étonnant que l’élégante Koubba devint la Coupole de l’amour alors que le palais prit le nom de Palais de la Rose.

Avant de rejoindre le Belvédère, la Koubba vit passer les hôtes de marque qui séjournèrent au palais comme le contre amiral Lesseigues en 1802 défait quelques années plus tard devant St Domingue par les Anglais et la reine Caroline de Brunswick en 1816.

Plus tard en 1839 devant la Koubba défila la cavalerie beylicale commandée par le Général Kheireddine, le palais était devenu entre-temps un casernement réservé à la cavalerie. Giuseppe Garibaldi y fut également reçu comme conseiller militaire.

Giacomo a ouvert son livre d’histoire devant son public, et il raconte à la manière troubadour, à ce moment précis, il ne travaille pas il rêve et fait rêver.

Devant la ‘Midha’, nouvelle halte ; ces pierres ont douze siècles d’âge elles méritent un petit commentaire car ce petit bassin aux ablutions (les ablutions sont un rite de purification, que tout bon musulman exécute avant la prière) a une histoire liée à l’histoire du lieu où il fut trouvé .

En effet il provient de la mosquée Zitouna qui est l’une des plus anciennes du maghreb, construite quelques 60 ans après la Grande Mosquée de Kairouan.

La médersa qui lui est rattachée est l’une des écoles ou université coranique les plus réputés du monde. La Zitouna est construite au souk El Attarine, le plus vieux souk de Tunis. On prétend que la Zitouna édifié en 732 sous le règne des Omeyades fut reconstruite sous le règne d’un sultan aghlabide en 804.

Les souks sont organisés selon une géométrie précise qui répond aux exigences de la religion; les activités propres près de la mosquée, ainsi le souk El Attarine est le souk aux parfums ensuite vient le souk El Birka qui a abrité le souk aux esclaves mais qui est devenu le souk aux orfèvres plus loin les souks des métiers moins propres le souk aux cuivres, aux chéchias, puis le cuir enfin le souk des tanneurs très loin de la mosquée qui ne doit souffrir d’aucune impureté.

La mosquée de l’olivier, Zitouna vient du mot olive, fut construite sur un lieu saint planté d’un olivier ; mais une autre interprétation révèle que la mosquée fut construite sur les vestiges d’une ancienne basilique chrétienne dédiée à Ste Olive, martyrisée à Carthage sous le règne de l’empereur Hadrien en 138 ap JC.

Giacomo encore ému par la ferveur qu’il a apporté à son récit remonte sur le ‘Karotzin’. Il reprend son métier de cocher, il n’a pas livré tous ses secrets ; demain peut-être, devant le palais du Bardo, racontera-t-il l’avènement des différentes dynasties beylicales. Place Ste Jeanne d’Arc il dépose ses clientes, il encaisse sa course comme n’importe quel cocher, et repart la tête dans les étoiles.



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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 17 juillet 2012 : 01:22

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CHAPITRE 12

Les martyrs de Carthage

- hier dans la salle d’attente de mon médecin j’ai feuilleté un magazine qui présentait un reportage sur la ville romaine d’Ephèse en Turquie.

- je suis sûre que vous avez fait un rapprochement avec Carthage.

- je pense que Carthage est beaucoup plus étendue, nous y sommes allées souvent, vous vous en rappelez !

Les ruines de Carthage ont été pendant de longues années, le théâtre de nos jeux d’enfants.

Pensionnaires au lycée de Carthage, les pions nous emmenaient souvent en promenade dans le vaste champ de ruines de la cité romaine.

Bien que le programme d’histoire de 6ème fût l’Antiquité, nous n’écoutions pas toujours nos professeurs avec le meilleur intérêt, car pour tout dire nos connaissances étaient plutôt concrètes et directement palpables.

Ce que nous connaissions le mieux de l’Antiquité c’étaient les pierres qui avaient fait la magnificence de Rome dans la plus belle et la plus prestigieuse de ses colonies.

Nous avons passé pour certains d’entre nous plus de quatre ans au milieu de maisons romaines, de villas, de théâtre, d’amphithéâtre, de temple, de basiliques ; les jeux de cache-cache nous permettaient de découvrir des souterrains, des bassins et des sols magnifiquement mosaïqués, des colonnes abattues, leurs chapiteaux reposant à même le sol, car en dehors des thermes d’Antonin (les plus grands d’Afrique et certainement les plus beaux de l’empire romain) qui étaient interdits au public non accompagné d’un guide, la cité endormie, à l’époque de notre enfance était librement ouverte ; les autorités n’exerçaient encore, aucune surveillance et les archéologues n’avaient pas encore fait leur travail de recherche et de mise à l’abri de tous les trésors qu’elle recèle.

Bien des années plus tard, j’ai revu au musée du Bardo, qui possède l’une des plus belles collections de mosaïques romaines du monde, une merveilleuse mosaïque sur laquelle, j’avais posé mes pieds d’enfant, ignorants de tant de richesses.

Dans ces rues couvertes de pierres célèbres, un jeu nous prenait pas mal de temps, c’était la recherche de pièces de monnaie romaines.

Pour cela, il fallait attendre les pluies d’automne et d’hiver, dans les rigoles creusées par les orages intenses on découvrait de temps en temps une pièce couverte de vert de gris.

Il fallait alors beaucoup de patience et d’application et frotter et astiquer pour que, sublime récompense, apparaisse parfois, l’effigie de l’empereur sous lequel elle avait été frappée. Le fait était rare car le plus souvent la pièce était beaucoup trop usée pour livrer son secret.

Quand on pouvait distinguer quelque chose, un visage ou des inscriptions, notre culture était insuffisante pour identifier le personnage et le nombre de pièces trop important pour importuner sans cesse le professeur de latin du lycée.

Nous avons du certainement croiser, au travers d’un denier un empereur célèbre, et sans doute, sans le savoir, nous avons peut-être enfermé, dans la boîte d’allumettes qui servait de cachette à notre trésor, Calligula, Néron, Caracalla ou Hadrien.

Malgré notre quête persévérante, jamais aucune pièce d’argent ou d’or n’est tombée dans notre escarcelle, à croire que les patriciens savaient mieux cacher leur or, que les plébéiens leurs deniers de cuivre.

Nos camarades ne se livraient pas tous à la passion du découvreur, certains mesuraient leur force en basculant d’immenses chapiteaux de colonnes, d’autres avaient la passion des souterrains et s’enfouissaient de longues minutes à l’abri des regards comme on aime le faire dans une cabane de branchages construite dans les bois.

Certains pions plus cultivés que d’autres, nous donnaient parfois des informations. C’est ainsi que nous avons découvert les tombaux puniques de la Carthage carthaginoise, que nous savions selon le modèle, si un alignement de colonnes représentait les restes d’un temple romain ou d’une basilique chrétienne de la première époque. Théâtre, amphithéâtre, forum tous ces mots et parfois les lieux ne nous étaient pas étrangers.

Plusieurs décennies plus tard, loin de Carthage et de la Tunisie, en visitant des sites archéologiques j’ai compris le privilège unique que nous avions eu de vivre cette expérience sublime dans l’une des cités antiques les plus célèbres du monde.

L’histoire de la Carthage carthaginoise, celle des phéniciens est difficile à étudier, car peu de sources phénico-puniques sont disponibles.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 21 juillet 2012 : 21:32

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Les textes puniques (le mot punique est dérivé du Poeni latin qui désigne les phéniciens, peuple, dont sont originaires les Carthaginois) malheureusement très rares, ont été traduits par des auteurs grecs ou latins ; s’agissant d’ennemis de Carthage, le contenu de ces écrits est peu probant pour expliquer le développement et la splendeur de cette ville.

Selon la légende, la ville aurait été créée vers 814 avant JC. Elissa ou Didon était la fille de Bélos, roi de Tyr, mariée à son oncle Sychée qui était extrêmement riche. A la mort du roi, Pygmalion frère de Didon, intrigue et succède à son père.

Avide du trésor de Sychée, il le fait assassiner. Elissa s’enfuit avec une suite nombreuse et plusieurs bateaux. Elle s’arrête d’abord à Chypre où elle fait enlever cinquante jeunes filles qu’elle donne à ses compagnons de voyage, puis elle accoste près d’Utique, colonie phénicienne, sur la rive d’Afrique qui ne s’appelle pas encore la Tunisie, le lieu lui paraît si hospitalier qu’elle décide de s’y arrêter.

Elle souhaite acheter un terrain, mais le maître des lieux, Hiarbas, roi de Mauritanie chef de la peuplade nomade des Gétules ne lui consent que la surface d’une peau de bœuf. Grâce à un stratagème (elle coupe la peau de bœuf en très fines lanières qu’elle met bout à bout) elle obtient le droit de s’installer sur la colline de Byrsa qui signifie peau de bœuf (c’est ainsi qu’elle s’appelle encore de nos jours).

Avec ses compagnons et grâce aux habitants d’Utique elle fonde une ville qu’elle appelle Kart-Hadasht, ville nouvelle que les romains appelleront plus tard Cartanigienses, et qui donnera Carthage. Le roi Harbias ébloui par la beauté et les richesses d’Elissa l’invite à l’épouser, mais celle-ci fidèle à son époux et ne pouvant se dérober décide de se donner la mort avec un poignard et demande qu’on brûle son corps ; éblouis par ce geste de bravoure, les compagnons de la princesse Elissa lui donnèrent le nom de Didon qui caractérise le courage et l’héroïsme.

Une autre interprétation est tout aussi passionnante, on raconte que le héros troyen Enée, fils du mortel Anchise et de la déesse Aphrodite, s’enfuit de Troie lorsque celle-ci tomba aux mains des Achéens, pour fonder une nouvelle ville de Troie sur un autre territoire. La légende raconte qu’Enée aurait accosté à Carthage et Didon en serait tombée amoureuse. Mais pour respecter le serment qu’il avait fait auprès de ses concitoyens et n’écoutant que son devoir, Enée prit la mer pour se rendre en Sicile.

Par désespoir Didon se serait donné la mort par le feu, Enée de son bateau aurait vu l’incendie. Cette version imaginée par le poète latin Virgile a donné naissance à l’Enéide qui est le plus célèbre poème de l’Antiquité. C’est cette légende qui fut retenue par les artistes et popularisée par tant d’œuvres littéraires, picturales et musicales.

C’est vers la fin du VIIe siècle avant JC que Carthage aurait acquis son indépendance sur Tyr, à qui elle payait un lourd tribu d’allégeance. L’histoire de Carthage et des Carthaginois est une longue succession d’affrontements avec les grecs d’abord qui lui disputaient sa suprématie sur la Sicile puis avec les romains pour s’assurer du contrôle de la méditerranée occidentale.

La Sicile occupée successivement par les grecs puis par les romains sera le principal théâtre des opérations militaires.

Le conflit majeur restera celui qui l’opposera à Rome aux cours de trois guerres appelées guerres puniques. La première commence en 264 avant JC, le général carthaginois Hamilcar Barca est défait au cours de la bataille navale qui se déroule en Sicile.

Il se réfugie en Espagne, c’est d’Espagne que son fils Hannibal lance la deuxième guerre punique, celle-ci sera terrestre ; des moyens très importants d’infanterie seront mises en œuvre des milliers de fantassins, de cavaliers s’affronteront et Hannibal fait même donner des éléphants qui traverseront les Pyrénées, le Rhône et les Alpes, il menace Rome mais celle-ci parviendra à vaincre.

La troisième guerre punique se déroulera sur le sol africain, et se terminera en 146 avant JC par la victoire définitive du général romain Scipion dit ‘Scipion l’Africain’.

Le territoire de Carthage sera déclaré maudit, la ville sera entièrement détruite après trois ans de siège. On raconte que du sel aurait été répandu sur le sol pour que plus rien ne repousse, mais cette thèse est démentie par les faits car quelques cent ans plus tard Carthage sera reconstruite par les romains elle deviendra l’une des plus belles villes du monde et l’un des fleurons de la colonisation romaine en Afrique, mais surtout le deuxième grenier de Rome après la Sicile.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 23 juillet 2012 : 12:49

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C’est Jules César, le premier, qui eut l’idée de reconstruire Carthage, mais son assassinat en 44 avant JC aux Ides de mars ne permet pas au projet de voir le jour. C’est le premier empereur Auguste de la famille des ‘Julii’ qui décide en 29 avant JC de reconstruire Carthage et lui donnera le nom de ‘Julia Concordia Karthago’ au nom de Carthage seront associés les mots de concordia car la concorde est le sens que l’empereur Octave Auguste veut donner à sa politique après les guerres fratricides qui l’ont opposé au général Pompée et Juilia qui est le nom de sa famille.

La colline de Byrsa, le site originel, deviendra avec les romains le forum de la ville, c'est-à-dire le centre de la vie publique, Carthage est déclarée capitale proconsulaire de la province d’Afrique et redevient une cité très peuplée véritable écrin au bord de la méditerranée.

Il est possible que Carthage se soit étendue vers l’ouest de la Tunisie sur plusieurs dizaines de kilomètres, certains historiens de l’antiquité prétendent que plusieurs ‘pagi’ (au singulier pagus : division administrative semblable au canton) aient été créés de telle sorte que la ville s’étende jusqu’à Dougga éloignée de 100 kilomètres d’un seul tenant. Carthage est alors la deuxième agglomération du monde romain et aurait atteint les 300 000 habitants.

C’est dans la Carthage impériale, puissante et rayonnante que commencent dès le IIe siècle les persécutions de chrétiens.
En 258 St Cyprien évêque de Carthage est supplicié. Mais c’est plus de cinquante ans plus tôt, sous le règne de Septime Sévère, qu’aura lieu le martyr de deux personnages emblématiques des persécutions de chrétiens en terre d’Afrique.

Leur histoire est singulière Felicitas et Vibia Perpétua sont deux jeunes femmes catéchumènes (novices non encore baptisées). Elles sont arrêtées avec quatre autres jeunes gens.

Felicitas est de condition très modeste de même que le jeune Revocatus, en revanche Perpetua et les jeunes Saturninus, Saturus et Secondulus sont issus d’importantes et riches familles romaines. On rapporte que Félicité (nom français) ait été l’esclave de Perpétue (nom français) et ce sont les noms de ces deux jeunes femmes que l’histoire a retenu car l’une est enceinte et l’autre est mère d’un enfant à la mamelle.

Elles seront toutes les deux ensembles, enveloppées dans un filet et livrées à la mort par un taureau en furie

Ce martyr a fait l’objet de nombreux écrits de l’église orthodoxe et de l’église chrétienne romaine et St Augustin quelques siècles plus tard prononça plusieurs fois leur panégyrique.

On a retrouvé les pierres tombales et les corps attribués aux deux Saintes non loin de la Basilique Maiorum située près de l’actuelle Sidi Bou Saïd et édifiée non loin des cimetières chrétiens.

Une légende cependant tente d’accréditer l’idée que le martyr ne se serait pas déroulé à Carthage, mais le fait que les jeux en vue de supplicier les chrétiens avaient lieu dans l’imposant amphithéâtre de Carthage, et la découverte des restes retrouvés toute proche du site nous éloignent de cette hypothèse.

La captivité de Perpétue et de ses compagnons nous est racontée par un texte de cette même Perpétue et Saturus écrit avant leur mort. Sécondulus serait mort en prison. On sait aussi que les autorités romaines ont attendu la naissance de l’enfant de Félicité pour exécuter la sentence.

Enfin un récit du supplice est rapporté par un contemporain sans garantie d’authenticité.

Au cours de cette période de très nombreux chrétiens ont été suppliciés en Afrique, l’histoire de Ste Félicité et Ste Perpétue à été magnifiée par le fait que le christianisme naissant a voulu associer dans une même ferveur riches et pauvres, esclaves et patriciens.

Le corps de Ste Félicité aurait été transféré d’abord à Rome pour échapper à l’invasion vandale qui s’abattit sur Carthage,   puis en France à Vierzon dans l’abbaye St Pierre, il fut brûlé en partie par des révolutionnaires en 1793, seule une partie du crâne fut préservée et déposée dans l’église Notre-Dame.

Tous les ans, le septième jour de mars l’amphithéâtre de Carthage s’emplit de fidèles qui viennent prier sur les lieux mêmes du martyr de Ste Félicité et Ste Perpétue.


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Date: 25 juillet 2012 : 01:01

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CHAPITRE 13

Promenades goulettoises
- lorsque nous allions à Tunis par le TGM, arrivés à la Goulette, je me mettais à la fenêtre pour observer le canal qui longeait la voie ferrée
- avec mes parents, on s’y arrêtait quelquefois, j’aimais bien aller au marché au poisson

Avant que de décrire ce lieu, il est important d’en définir le nom et d’en connaître l’étymologie. Dès le VIIIe siècle les arabes installés à Tunis l’ont appelé ‘Halq el-Ouad’ qui signifie l’embouchure ou la gorge du fleuve.

C’est donc tout naturellement que les Italiens qui débarquent dans cette région au XVIIIe l’appellent gola (gorge) ou goletta (petite gorge), les Français qui arrivent quelques décennies plus tard francisent le mot en Goulette. Mais d’où lui vient cette dénomination de gorge, pour cela il faut remonter aux temps géologiques qui virent une anse du golfe de Tunis se transformer en lac par l’effet d’un double tombolo provoqué par les dépôts de deux rivières l’oued Medjerda au nord et l’oued Miliane au sud.

Au fil du temps l’embouchure de la Medjerda s’est déportée vers le nord de la Tunisie. Ce lac d’eau salée n’était cependant pas entièrement fermé ; un petit canal large de 28 mètres le reliait à la mer, c’est ce petit canal en forme de gorge qui donna son nom à La Goulette. Les phéniciens puis les romains installés à Carthage avaient parfaitement identifié le lac car ils l’appelaient ‘stagnum’, qui veut dire lagune salée et peu profonde.

Les Carthaginois avaient choisi pour leurs navires des installations portuaires à proximité de la ville de Carthage et avaient délaissé la zone de Tunis insalubre. Lors de la destruction des ports puniques et romains par les arabes et du choix de Tunis comme ville principale, la rade de La Goulette devint le lieu privilégié de mouillage de tous les bateaux qui commerçaient avec les marchands arabes.

Ils ne se risquaient pas à traverser le canal, pour se rendre à Tunis, à cause de la faible profondeur des eaux du lac. Toutes les goélettes qui croisaient dans ces eaux ont pu créer la confusion, mais le nom de Goulette ne vient pas de goélette et il est bien conforme à la toute première origine.

La Goulette connaît la première vague de colonisation italienne, les pêcheurs de la ville sicilienne de Trapani arrivent les premiers, avec leurs bateaux, ils font une courte halte dans l’île de Pantelleria et abordent les côtes tunisiennes.

Ils s’installent avec leurs bateaux dans le port de la Goulette dès 1860.

D’autres les rejoindront, venant de Syracuse ils fondent dans la vieille ville la ‘Petite Sicile’ un quartier entièrement peuplé de Siciliens, ils achèvent la construction de l’église Saint Augustin, des frères capucins siciliens sont chargés de l’animation, une copie de la vierge de Trapani est apportée sur place et le 15 août les fidèles viennent des différentes villes de Tunisie pour se fondre à la foule et assister à la procession.

Cet évènement revêt un caractère particulier car au fil des années la procession de la ‘Madone de Trapani’ verra ses rangs grossir et se garnir de juifs et de musulmans, ainsi le peuple ‘goulettois’, sans distinction de religion, communie dans la même ferveur. (le film de Férid Boughédir relate ce fait dans ‘Un été à la Goulette’)

La Goulette est peuplée aussi de Maltais de Juifs et d’Arabes, sur les bateaux de pêche on ne sait pas qui est Sicilien, Maltais ou Arabe, ils parlent une seule langue faite de 5 mots de Siciliens, 2 mots de Maltais et 4 mots d’Arabe et même si l’on inverse les proportions cela n’a pas d’importance.

La Goulette deviendra très vite une ville populaire qui s’étend. Au début du XXe siècle le chemin de fer la relie à Tunis et comme la ligne va de Tunis à la Marsa on appelle le train le ‘TGM’ (Tunis-Goulette-Marsa).

En 1905 on construit à la Goulette une centrale électrique qui non seulement permet d’électrifier la ligne du TGM, mais aussi de fournir du courant à toute la population de Tunis.

La Goulette devient très vite une coquette station balnéaire, après Goulette Vieille, le quartier de Goulette Neuve prendra naissance, de très beaux immeubles viennent garnir le front de mer, la Goulette poursuit sa cure de beauté et un jour un casino sortit de terre, il s’avançait vers la mer sur une petite jetée. La Goulette devint la plage préférée des Tunisois.

Le TGM déverse alors son flot de familles au fil de ses trois stations : Goulette Vieille, Goulette Neuve et Goulette Casino, que de rencontres, que de camaraderies, que d’amitiés partagées se sont nouées sur ces plages, tout ce petit peuple de Tunis se rassemble et se mélange, ici l’accent juif chantant et traînant, là l’accent rocailleux des Siciliens, le parler arabe où l’accent maltais, les enfants qui jouent, la grand-mère qui essuie le petit fils qui sort de l’eau et gelotte, les pères qui discutent, les mères qui crient depuis le sable aux enfants qui s’ébattent dans la mer : «  ne va pas loin, fais attention, parce que si tu te noies, je te tue ».


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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 28 juillet 2012 : 14:07

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Et les marchands de glibettes (graines de courge ou de tournesol salées et grillées) qui passaient et repassaient sans cesse pour vendre leurs petits cornets réalisés dans du papier journal.

La goulette était aussi un port de pêche, aussitôt à quai les pêcheurs vendaient leur poisson parfois encore vivant. La foule des acheteurs se pressait, et chacun repartait avec un ou plusieurs poissons d’argent dans le couffin (en Tunisie c’est ainsi qu’on nomme le panier à provision de paille tressée) .

Le poisson complet de chez Bichi.

Comment comprendre cette dénomination de poisson complet sinon de l’opposer aux filets de poissons et aux bâtonnets panés vendus sur tous les étals de nos poissonniers. Ainsi un poisson complet serait un poisson dont on peut encore voir les écailles la tête et la queue ?

Pour tous ceux qui n’ont pas connu La Goulette, la définition est suffisante, mais sans verser dans une sirupeuse nostalgie on est bien obligé de reconnaître que le poisson complet de chez Bichi et sa ‘testira’ sont à rajouter aux sept merveilles du monde.D’abord le poisson complet de Bichi est un plat populaire, on est loin de la cuisine raffinée et subtile des princes et des rois, et pourtant tout un cérémonial préside à sa préparation.

Le restaurant Bichi était une petite maison de rez-de-chaussée et un vaste espace couvert de tables et de chaises qui s’étendait sur le trottoir de la principale avenue de Goulette Vieille et même dans la rue au point de gêner le passage des voitures qui devaient se frayer leur chemin au milieu des clients.

Au fond le vrai décor était la rue, qui la nuit venue s’éclairait de guirlandes lumineuses pendues aux banches des arbres. Combien de convives, pouvait accueillir Bichi, difficile à dire mais dans la douceur des nuits d’été délicatement rafraîchies par une légère brise marine sans aucun doute plusieurs dizaines.

Le maître des lieux avait poussé la coquetterie jusqu’à l’installation d’un aquarium à eau de mer dans lequel s’ébattaient des poissons qui un jour ou l’autre terminaient leur vie dans une assiette bienveillante.

Tout le monde ne mangeait pas le même poisson chez Bichi, le mulet était réservé aux juifs car c’étaient eux qui en étaient les plus friands, les Italiens préféraient le rouget ou la daurade, la clientèle française avait une prédilection pour le loup, les arabes, quant à eux préféraient se replier sur les cafés maures et les ‘fteïrs’ (marchands) qui se trouvaient à proximité et qui proposaient des casse-croûtes tunisiens, les briks à l’œuf ou les ‘fteïrs’ (fameux beignets à l’huile).

Le poisson était accompagné de sa ‘testira’ ou ‘kaftéji’, ensemble de légumes composé de poivrons, courgettes, pommes de terre frits, découpés après la friture, mélangés et épicés au karoui (carvi) sur laquelle trônait un œuf poché à l’huile d’olive.

Pour frire le poisson on récupérait l’huile de friture des poivrons, c’est elle qui donnait un goût incomparable au poisson. Cet assemblage de légumes et de poisson a pris le nom de poisson complet. Après un pareil dîner restait-il encore une place pour une autre gourmandise ? On restait en général sur ce plaisir rare et on sacrifiait au thé à la menthe que le patron vous offrait en hommage pour avoir eu la bonne idée de lui rendre visite.

Bichi était un homme simple et affable, personne ne l’a jamais vu habillé autrement, qu’avec son tablier noué autour de la taille, il faut dire que son tour de taille était plutôt imposant, nourri à la bonne cuisine juive il avait pris, avec l’âge, une certaine ampleur.

Bichi (personne n’a jamais su si c’était son nom, son prénom ou un surnom) commandait sur une armada de serveurs, sûr du savoir faire culinaire de ses cuisiniers, il préférait déserter la cuisine et évoluer au milieu de ses clients ; il avait l’œil à tout, tel un chorégraphe, il réglait le ballet et le va et vient incessant des serveurs.

On n’était jamais déçu chez Bichi, tous les pêcheurs de La Goulette lui réservaient leur meilleur poisson, et lui en commerçant averti, les faisait tous travailler en leur achetant à tour de rôle le résultat de leur pêche.

Une fois par semaine, le vendredi, veille de shabbat vous ne pouviez par manger le poisson complet car le restaurant Bichi préparait le couscous au poisson.

Le couscous au poisson est une spécialité de couscous que la France n’a pas importé, et pourtant en Tunisie il trône au panthéon des mets les plus appréciés.

Son origine est très imprécise, nous savons tous que le couscous est né dans ces contrées d’Afrique désertiques peuplées par les berbères, ils appelaient ‘Kseksu’ ce mélange de céréales grossièrement pilées qu’ils accompagnaient des maigres légumes qu’ils parvenaient à faire pousser.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 30 juillet 2012 : 17:24

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Plus tard les caravaniers venus du Sud, en commerçant avec les arabes qui se sont installés dans tout le Maghreb, leur font découvrir ce met qui sera au fil du temps enrichi, notamment par l’ajout d’épices de viande et de divers autres légumes.

L’origine du couscous au poisson est en revanche moins précise. Si la base de céréales est empruntée à la recette initiale, le mariage avec le poisson semble provenir de divers horizons.

En 1542 des génois s’installent dans la petite île tunisienne de Tabarka située à quelques coudées de la terre ferme, ils y fondent une communauté de pêcheurs de corail jusqu’en 1742 (le fort génois qui domine la ville est la trace la plus visible de ce passage).

Sans doute découragés par la rareté de la ressource ils émigrent dans une petite île sarde du nom de San Pietro où ils fondent la ville de Carloforte essentiellement peuplée de Tabarquins (habitants de Tabarka).

Aujourd’hui, Tabarka est reliée à la terre ferme et les habitants de San Pietro consomment un merveilleux couscous au poisson, ce plat s’est répandu dans toute la Sicile voisine qui revendique la paternité de cette délicieuse préparation.

Pour d’autres le couscous au poisson est originaire de la ville de Sousse située au bord de la mer méditerranée et dont les fonds marins sont extrêmement poissonneux.

Pour d’autres enfin le couscous au poisson est né dans l’île de Djerba, en effet dans le petit musée des traditions locales qui se trouve dans la principale ville de Houmt Souk est exposé un couscoussier du XVIIe siècle à double fond permettant de déposer le poisson sur le fond, puis en le séparant de la partie supérieure par un petit plateau en terre sur lequel on peut déposer le couscous qui va se parfumer au fumet du poisson qui cuit au dessous à la vapeur.

Cet ingénieux ustensile provient de recherches archéologiques entreprises dans le fort espagnol construit après la prise de possession de l’île par un amiral aragonais.

Mais au fond peu importe l’origine, le fait est que le couscous au poisson de Bichi est un petit chef-d’œuvre.

La préparation de la sauce (‘marga’ pour les tunisiens, ce mot est semble-t-il d’origine maltaise, il n’en a pas moins été emprunté et adopté par les arabes, les juifs puis le reste des habitants), obéit à un véritable cérémonial car c’est de la réussite de la sauce que dépend le succès futur de la recette. Les ingrédients sont des plus classiques oignons, tomates, poivrons, piments, coriandre, épices (parmi les épices les plus utilisées il y a le cumin, le curcuma, le safran, et même le gingembre). La sauce prête, il est temps de plonger le poisson. Un seul poisson trouve grâce aux yeux des amateurs : le mérou et dans ce poisson le morceau de choix en est la tête.

Vous ne ferez sûrement pas confectionner par Bichi un couscous au poisson sans mérou. Il n’était pas rare que dans l’immense marmite dans laquelle mijotait dès le matin la ‘marga’ l’on y plonge les tranches énormes d’un mérou de dix kilos qui avait été exposé une heure ou deux devant la devanture comme pour interpeler le chaland.

Enfin on s’occupait de la semoule. Aujourd’hui par des procédés industriels, la semoule est précuite, il faut quelques minutes pour obtenir un résultat acceptable. Autrefois il fallait travailler longuement la semoule, la rouler, pour qu’elle prenne petit à petit la consistance voulue avant de la cuire.

Enfin lorsqu’arrivait le moment de la cuisson, le poisson était séparé de la sauce qui était, elle-même, versée dans les couscoussiers, et la vapeur odorante qui montait cuisait la semoule.
Bichi se distinguait des autres cuisiniers, suprême coquetterie, il présentait avec le couscous une tranche de courge qui avait longuement mijoté avec une partie de la sauce.

Il ne fallait surtout pas chercher des confidences sur ses recettes, Bichi vous gratifiait d’une pirouette, d’un large sourire et d’une tape amicale sur l’épaule ; on était là, seulement pour se délecter, apprécier les saveurs, goûter la douceur de l’air, tendre la narine au passage d’un marchand de jasmin, fermer les yeux, et rêver. Rêver de quoi ! Mais de rien puisque dans ces moments, l’imaginaire et le réel se confondent.

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Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 01 août 2012 : 13:00

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CHAPITRE 14

Youssef Le petit chamelier de Douz

- mon seul regret après tant d’années passées en Tunisie, est de n’être jamais allée dans le sud
- j’avoue avoir eu un peu plus de chance que vous, car avec mes cousins nous sommes allés jusqu’à Gabès

Après ce voyage entrepris au nord de la Tunisie, je ne voulais pas vous quitter sans conduire nos pas vers le sud, la naissance du désert où pendant des siècles, de longues caravanes de nomades remontaient pour commercer avec les marchands arabes qui venaient alimenter les boutiques des commerçants de Gabès, Sfax ou Tunis.

Les grecs puis les romains se sont risqués sur ces trajectoires, ils ont descendu la Tunisie jusqu’à la Libye annexant la province grecque de Cyrénaïque en 74 av JC. Plusieurs villes furent fondées, on dit que Rome fut implantée au milieu des sables, la principale ville Leptis Magna donna même un empereur à Rome : Septime Sévère. Les Romains bien longtemps après les phéniciens et les grecs empruntèrent deux routes : l’une côtière à l’est qui passe par la ville d’El Djem l’antique Thysdrus, l’autre plus intérieure à l’ouest le long de la frontière algérienne qui fait étape dans la ville de Sbéïtla, Sufetula pour les romains. Chacune de ces deux villes abrite un joyau architectural de l’empire romain connu dans le monde entier.

Si nous poursuivons les itinéraires tracés par les romains, nous traverserons à l’est le sahel tunisien, la ville de Sfax, puis celle de Tataouine, enfin la ville de Gabès En replongeant au centre nous entrons dans le désert par l’oasis de Tozeur. En empruntant la voie de l’ouest, nous parvenons dans le désert rocheux et montagneux qui converge également vers Tozeur

La ville d’El Djem est aujourd’hui une petite ville tunisienne comme il en existe de nombreuses alentour, seuls les vestiges du deuxième plus grand amphithéâtre du monde romain 30 000 spectateurs) après le colisée de Rome (45 000 spectateurs), l’ont rendue célèbre, les deux édifices sont parfaitement conservés. L’amphithéâtre d’El Djem, atteste de l’ampleur et de la magnificence de la ville de Thysdrus, mais il est malheureusement le dernier vestige de la grande cité. Sbéïtla au contraire dispose d’un site archéologique de première importance avec des monuments en excellent état, notamment la triade capitoline qui constitue l’une des trois triades qui demeurent dans le monde.

La cité est également pourvue d’un théâtre, d’un forum, de deux arcs de triomphes très bien conservés l’arc de Dioclétien et celui d’Antonin le pieux, de thermes, de rues pavées ; un véritable joyau au milieu de nulle part. La triade capitoline est en fait un temple dédié à Jupiter le roi des dieux auquel on a adjoint le temple de Junon déesse de la fécondité et Minerve déesse des arts et de la guerre.

Contrairement à celui de Rome qui est un temple unique à trois nefs pour figurer la triade, celui de Sufetula (Sbéïtla) est formé de trois bâtiments accolés l’un à l’autre de taille sensiblement égale. La triade capitoline, par ce regroupement ternaire de divinités nous renvoie à ce chiffre trois qui constitue universellement à travers le temps, pour tous les hommes, le nombre fondamental. Toutes les croyances, toutes les religions connues par le monde sont fondées sur le trois.

Chez les Mayas, leur conception de l’existence est inscrite dans ce raisonnement ; pour eux il y a trois mondes le ciel, la terre et l’inframonde (le monde souterrain) dans lequel reposent les morts. Le soleil et la lune qui représentent leurs principales divinités parcourent le chemin du ciel à la terre puis à l’inframonde lorsque le soir pour l’un, le matin pour l’autre ils disparaissent sous la terre.

C’est le même cheminement qu’empruntent les humains qui après leur disparition dans l’inframonde pourront regagner le ciel, leurs pyramides comportent 3x3 degrés. Pour les Chinois le trois est le nombre parfait qui place l’homme, entre l’empire céleste et la terre, La mythologie égyptienne établit aussi une triade selon le principe père (Osiris), mère (Isis) fils (Horus).

Pour les hindouistes trois divinités : Brahma,Vishnu, Shiva régissent le monde, il en va de même pour le boudhisme qui consacre le triple joyau Boudha, Dharma, Sangha, celui-ci s’appelle triatna. Les juifs évoquent la triade originelle : la terre, le peuple, le livre ; le chapelet des musulmans comporte trois fois trente trois plus trois grains et les chrétiens célèbrent la trinité (autre coïncidence Jésus est mort à trente trois ans à trois heures de l’après-midi et est ressuscité le troisième jour.

Ceci nous a sans doute éloignés de la triade capitoline de Sbéïtla qui reste pour sa rareté un sujet exceptionnel d’étude du monde romain.

Notre promenade romaine ne nous a pas détournés du chemin qui conduit au sud. Notre voyage dans le nord était fait de senteurs de fleurs d’orangers et de jasmin, des couleurs bleues du ciel et de la mer, de la finesse de l’architecture arabe, des bruits tantôt familiers de la rue, tantôt langoureux du luth, du cosmopolitisme de l’époque coloniale. Dans le sud plus rien de tout cela : des collines de Matmata à la grande plaine des Chotts (lacs salés), de la ‘Corbeille de Nefta’ aux oasis de montagne de Chebika et de Tamerza, tout est différent, tout devient plus difficile, les terres arides brulées par le soleil et le sirocco ont fait place aux jardins luxuriants, l’ocre est la couleur dominante et puis il y a le sable qui pénètre et s’insinue partout, par jour de grand vent. Et pourtant nous ne pouvons imaginer combien ce pays est attachant, ces villages accueillants et ces enfants aimablement bruyants.

Toutes ces villes, tous ces villages ont leur histoire, leurs habitants originels les berbères ont vu passer les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Vandales, avant que les arabes ne s’y installent définitivement.

De toutes ces villes se détache la très religieuse Tozeur, cette ville a une histoire très ancienne, puisque dans l’Antiquité elle fut fréquentée par les Egyptiens, son nom a du reste été inspiré par la pharaonne Taousert veuve de Setih II lui-même petit fils du grand Ramses II. Tozeur est devenu un centre de commerce, d’échanges et de transactions entre les caravaniers venus des territoires africains éloignés qui traversaient le Sahara pour vendre ivoire, pierres précieuses, fourrures de bêtes sauvages et esclaves et les marchands arabes pour leur acheter dattes et produits manufacturés.



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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 03 août 2012 : 13:20

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Tozeur est aussi une ville religieuse et culturelle où l’on pratique le soufisme qui est une quête spirituelle mystique et ascétique de l’islam. Le mot arabe ‘safa’ signifie clarté, limpidité, pureté cristalline.

Auparavant la ville a connu l’influence chrétienne sous l’impulsion de St Augustin d’Hippone lui-même né en Afrique d’un père romano-africain et d’une mère berbère, c’est semble-t-il sur les ruines d’une basilique chrétienne que fut construite la mosquée El Kasr. Encore aujourd’hui on a conservé de cette période un rite étonnant on baptise les enfants avant la circoncision (ce rite s’appelle le Sidi Yuba)

Si les caravaniers faisaient halte à Tozeur c’est aussi pour bénéficier de sa bienveillante et accueillante oasis. Dès l’antiquité fut mis en place un système de répartition équitable de l’eau mesurée par le ‘gadous’ (mesure hydraulique, le terme est encore employé aujourd’hui) qui vient du latin ‘cadus’ (clepsydre).

La culture d’oasis est savamment articulée autour de principes simples entre les plantes qui vont chercher l’eau profondément dans la terre et celles dont les racines sont progressivement moins profondes, celles dont la lumière maximale est nécessaire et celles qui ont besoin de moins de lumière. Cette recherche conduit à une végétation à plusieurs niveaux.

Très haut et au dessus de tous les végétaux on trouve les palmiers dattiers, ils prennent le soleil et filtrent ses rayons, en même temps peu gourmands en eau leurs racines vont chercher en profondeur leur substance nourricière ; ensuite on trouve les arbustes méditerranéens : orangers, citronniers, pêchers, pommiers, abricotiers, grenadiers, à l’ombre des arbres fruitiers on cultive les céréales et les cultures maraîchères.

Ce dont les habitants de ces territoires doivent se méfier c’est de la surexploitation de l’eau ; aujourd’hui il faut aller la chercher de plus en plus profond et avec des moyens mécaniques de plus en plus puissants.

Tozeur est la ville du Chott El Djérid , cette étendue salée est quelquefois mouillée par les rares pluies d’hiver, cette manne du ciel est propice à la cueillette du sel. C’est aussi sur les Chotts tunisiens que l’on peut découvrir le phénomène des mirages, lorsque le ciel est limpide et que le soleil inonde l’étendue salée les visiteurs peuvent voir au loin se dessiner des villes qui n’existent pas.

Au sud-est du chott El Djérid se trouve la petite ville de Douz, son oasis a constitué pendant des décennies une halte bienfaisante et réparatrice pour les caravaniers qui se rendaient dans la grande ville de Tozeur, s’agissant de la dernière ville avant les dunes du Grand Erg Oriental (l’Erg de l’arabe Irq qui veut dire désert de dunes fixes) la ville est appelée ‘La Porte du Désert’ ; c’est à Douz que vit le jeune Youssef.

Youssef est le second fils d’une famille de bédouins berbères de six enfants. Pendant très longtemps la famille de Youssef a vécu au gré des parcours empruntés par le troupeau de dromadaires qu’elle élevait dans les plaines arides autour du Chott El Djérid. La sècheresse conduisait parfois hommes et bêtes jusqu’aux si lointaines villes de Chébica, Tamerza ou Midès.

A cette époque la famille était condamnée au nomadisme et vivait sous la tente. Aujourd’hui les parents de Youssef vivent dans une petite maison non loin de la palmeraie. Et c’est à travers les récits du grand-père qui habite avec eux, que Youssef a appris les rudiments du métier de chamelier.

Enfant, Youssef suivait son père sur les pistes qui conduisaient au troupeau, celui-ci était quelque peu sédentarisé car outre les rares touffes d’herbe sèches et les feuilles d’acacia, les dromadaires de Youssef se nourrissaient, des cladodes (rameau aplati en forme de raquette) des figuiers de barbarie et de sorgho que son père faisait pousser dans l’oasis.

Adolescent, Youssef aidait beaucoup son père, ils en étaient arrivés à un partage des tâches : lui s’occupait des dromadaires son père pourvoyait à leur alimentation et à celle du foyer familial sur le petit lopin de terre qu’il possédait.

Les dromadaires paissaient à quelques kilomètres de la maison, tous les jours Youssef chargeait les paniers des cladodes de figuiers, du fourrage de sorgho préparé par le père, parfois il remplissait deux sacs de graines de sorgho et partait avec les trois dromadaires, le premier lui servant de monture et les deux autres portant le chargement de nourriture pour leurs congénères.

Le troupeau était composé de deux mâles, d’une quarantaine de chamelles et d’une vingtaine de chamelons, outre le fait de nourrir son bétail Youssef devait vérifier les pieds des bêtes, les dromadaires sont des digitigrades à ce titre ils ne portent pas de sabots et bien que la peau soit épaisse, une épine peut toujours se planter sous le pied.

Puis il fallait traire les chamelles, bien nourries les chamelles de Youssef donnait beaucoup de lait qui suffisait largement aux besoins des nourrissons et permettait une collecte suffisamment importante pour pouvoir le vendre au souk de Douz.

Son travail ne s’arrêtait pas là, il fallait vérifier le sevrage des chamelons qui seraient vendus au marché aux bestiaux de Douz, car seuls les petits étaient utilisés pour leur viande et leur cuir. Une fois par semaine Youssef conduisait le troupeau jusqu’à Douz pour emmener ses bêtes à l’abreuvoir, c’était aussi pour lui l’occasion d’offrir à ses dromadaires leur met favori : une pâte faite de farine de sorgho et de dattes ; c’était un très bon moment pour Youssef de voir avec quel plaisir ils dégustaient leur friandise.

Ces rares moments de communion parfaite entre la bête et l’homme, lui laissaient penser qu’il exerçait le plus beau métier du monde.


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Date: 05 août 2012 : 17:15

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Un matin alors qu’il se rendait sur le lieu de pâture, Youssef ne vit pas ses bêtes, il connaissait bien chacune d’entre elle, et il pouvait les identifier de loin à la couleur de leur robe ; il eut un très mauvais pressentiment : « et si quelqu’un lui avait volé ses dromadaires ! ». 

Il poursuivit encore quelques centaines de mètres, pas de troupeau, alors son cœur se mit à battre très fort. Pourtant tout le monde se connaissait à Douz, jamais personne n’avait eu à se plaindre d’un quelconque vol, et les chameliers avaient tous leur territoire ; tout au plus y-avait-il eu une confusion sur telle ou telle bête mais les litiges se réglaient rapidement et sans éclats.

Youssef revint à la maison, la mort dans l’âme annoncer la mauvaise nouvelle ; personne ne voulait croire à ce désastre. Mais au bout de quelques minutes la décision fut prise d’aller à la recherche du troupeau. Le père de Youssef alla chercher la vieille tente qui avait été gardée et soigneusement pliée et conservée comme on préserve une relique, les quelques ustensiles furent également placés dans le panier ; on chargea des vivres et des vêtements chauds, les nuits dans le désert sont froides, et les deux hommes harnachèrent les deux dromadaires de selle qui leur servaient de monture, et en chargèrent un troisième des paniers qu’ils avaient préparé.

Le père de Youssef se trouva rajeuni de quelques années lui qui avait connu enfant les transhumances des bêtes et le nomadisme de la famille, pour Youssef c’était une nouvelle aventure, partagé par le souhait pressant de retrouver son troupeau et l’excitation de l’aventure qui se présentait.

Pour aller plus vite on traversa le petit Chott Sahlia, d’habitude Youssef le contournait pour préserver du sel, les pieds de ses dromadaires, et on emprunta la piste du nord qui menait à Jemnah, distante de 27 kilomètres, alors commença le parcours habituel des grandes étendues désertiques ocres balayées par le vent à la recherche du troupeau perdu.

Toute l’après-midi fut consacrée à la découverte d’indices, on inspecta les buissons pour vérifier si les rares touffes d’herbes avaient été consommées, on inspecta le sol pour tenter d’apercevoir des traces d’excréments. Le soleil déclinait et pas la moindre trace.

Il fallut se résoudre à monter la tente, la tente montée le climat pesant n’incitait pas à allumer le feu et préparer le repas ou même le thé, tout juste Youssef se saisit d’un morceau de ‘khobz’ (pain) très vite avalé, il s’enroula dans sa couverture et essaya de dormir le cœur lourd. Après avoir tourné et retourné dans sa tête toutes les possibilités il finit par succomber au sommeil, d’un sommeil si léger que dès l’aube, alors que le soleil n’avait pas encore fait son apparition, il était débout. Son père était déjà levé, ils se tournèrent vers l’est, vers la Mecque et ils commencèrent leur prière invoquant et appelant dieu à les aider à retrouver leurs bêtes.

Ils versèrent ensuite, dans un bol en fer blanc un peu de lait de chamelle contenue dans une gourde en peau et y trempèrent leur pain.

Ce maigre repas terminé on s’activa à lever le camp et on reprit la piste vers le nord, des dromadaires qui paissaient tranquillement furent aperçus, les chameliers interrogés ne purent donner d’indications on traversa l’oued El Mellaf qui était à sec en remontant en direction de la ville de Kebili, au bord de la route ils virent un jeune dans son burnous, accroupi, qui avait devant lui des bidons en plastique rouge. Youssef connaissait bien ce type d’activité ; ce jeune revendait sans doute de l’essence de contrebande qui provenait de Libye aux rares automobilistes qui prenaient la direction du nord.

Ce trafic était connu de tous et même des autorités qui fermaient les yeux. Ils demandèrent au jeune homme s’il n’avait pas vu ou entendu parler d’un troupeau de dromadaires égarés dans le secteur.

Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils apprirent qu’un troupeau de dromadaires était passé au galop dans la direction de Tembib à l’ouest de Kebili, il avait même constaté que l’un deux était blessé au cou et perdait du sang.

Ils s’empressèrent de reprendre leur route en bifurquant en direction du Djerid. Soudain après une bonne heure de marche ils aperçurent à quelques trois cent mètres de la piste un troupeau à l’arrêt ; certains dromadaires avait pris la position baraquée, (accroupie), Youssef reconnut tout de suite le grand mâle qui menait en général le troupeau, ils s’approchèrent et reconnurent un bon nombre de chamelles, certaines laissaient téter leur chamelon.

A première vue le troupeau lui parut plus important, il en fit part à son père qui parvint au même constat. Quelque peu éloigné du troupeau ils virent un mâle qui semblait profondément entaillé, du sang séchait sur son cou, Youssef et son père ne le connaissait pas.

Tout à la joie d’avoir récupéré leur bien, ils entreprirent de revenir sur leurs pas en prenant soin de ramener tout le troupeau, y compris le mâle blessé. Le parcours du retour fut plus léger mais ils ne purent éviter une nouvelle nuit dans le désert.

Cette fois les herbes sèches et le petit bois ramassés quelque temps auparavant éclairèrent la nuit de leurs flammes, comme au bon vieux temps on versa un peu d’eau dans la marmite on découpa les légumes qui vinrent rejoindre la semoule, une petite cuillère d’harissa vint parfumer et agrémenter la soupe. Jamais soupe ne parut aussi délicieuse, le père et le fils sans avoir besoin de parler communiquaient du regard, on prépara même le thé.

Fatigués par les longues heures de selle, après la prière, ils s’endormirent profondément. Le lendemain la dernière étape fut une simple formalité. Arrivés à la maison ils s’enquirent à Douz auprès des éleveurs si quelqu’un n’avait pas perdu une partie de son bétail ; ils apprirent ainsi qu’un marchand de bétail venu de la région de Tataouine au marché du jeudi avait perdu, un mâle et six chamelles.

Alors tout paru plus limpide, en effet chaque mâle dominant dirige le groupe familial composé de plusieurs chamelles et leurs chamelons. A la saison des amours la bataille entre mâles peut être extrêmement violente, pouvant entraîner la mort du vaincu, si on ne parvient pas à les séparer.

Sans doute en passant près du champ où pâturait le troupeau de Youssef un mâle avait du percevoir les chaleurs d’une femelle et s’était approché entraînant avec lui quelques femelles ; il avait ainsi échappé à la vigilance de son propriétaire. Le reste est à mettre au crédit de la nature et sur le compte d’une histoire d’animaux qui voulaient ressembler à des hommes.

Youssef qui n’avait jamais connu le frisson de la nuit passée en plein désert sous la tente, put ainsi le lendemain partager avec son grand-père l’histoire familiale que des années de modernité avaient fini par effacer sauf dans la mémoire collective des peuples.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: Bravo (IP enregistrè)
Date: 08 août 2012 : 01:12

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Le ‘Roba Vecchia’ de la rue des Belges

Le marché central de Tunis est l’un des plus grands et plus beaux marchés d’Afrique du Nord. Construit en 1891, de forme carrée, il possède des galeries en dur, couvertes qui en délimitent le pourtour, et un immense espace central en plein air, il ressemble ainsi à un immense caravansérail où tous les espaces seraient livrés au commerce.

Sur le plan architectural il présente une double particularité, il est à la fois de style mauresque et colonial. Les galeries sont disposées à l’image des souks par catégorie de marchandise. La plus belle et la plus fréquentée est la halle aux poissonniers ; il faut préciser que Tunis est situé au fond d’un golfe extrêmement poissonneux qui reçoit chaque jour en abondance une très grande variété des meilleurs poissons de méditerranée.

Tous les étalages sont un véritable spectacle car bien souvent les poissons sont encore vivants. Autres galeries, autres curiosités la halle aux volaillers, volailles et lapins sont vivants dans leur cage, l’abatage et le plumage se fait sur place, de même pour les lapins, ils sont dépouillés de leur peau et vidés de leurs viscères sur place.

La galerie des bouchers est tout autant spectaculaire, seuls le mouton et le bœuf sont vendus pour respecter le coran mais les quartiers de bœuf sont pendus à l’extérieur, de part et d’autre de la devanture et entamés au fur et à mesure de la commande, de même les agneaux et les moutons pendus au dessus de la porte forment un alignement régulier.

Les épiciers ont aussi leur propre originalité, toutes les épices, et elles sont nombreuses en Tunisie sont présentées dans des sacs côte à côte formant ainsi une symphonie de couleurs chaudes rouge, ocre, jaune et brun. Les légumes secs sont aussi présentés dans des grands sacs posés à même le sol, car elles sont vendues au poids et non empaquetées comme dans nos grands magasins.

Les fromagers, les pâtissiers, les boulangers avaient aussi leur négoce dans les galeries, mais ce qui attirait le regard c’étaient les marchands d’olives et de salaisons en effet la Tunisie est l’un des tous premiers producteurs d’olives et d’huile d’olive. L’espace central était réservé aux légumes et aux fruits.

Il serait sans doute fastidieux d’énumérer toutes les richesses des produits cueillis ou ramassés du matin, les variétés propres à l’Afrique du nord, mais ce qui frappait mon esprit d’enfant c’était les montagnes de melons et de pastèques sur lesquelles était juché un vendeur qui donnait le prix et ensuite lançait le fruit à son collègue en bas qui le réceptionnait, ces melons pesaient parfois dix kilos, j’étais aussi attiré par les marchands de figues de barbarie que l’on mangeait sur place car le vendeur les découpaient à la demande du client, certains marchands avaient devan eux, un énorme tas de fleurs d’oranger ou de pétales de roses, les tunisiens font eux même leur eau de fleur d’oranger et leur eau de rose car ils s’en servent pour leur caractère médicinal.

Parfois on rencontrait un marchand d’escargots ou de champignons ; les plus âgés ou les femmes vendaient les herbes aromatiques. A une époque où personne n’utilisait les engrais chimiques, les pesticides ou les herbicides tous ces produits issus de l’agriculture étaient particulièrement odorants et goûteux.

Le fondouk El Ghalla c’est ainsi qu’on désignait en arabe le marché central, avait plusieurs portes, une par section du carré. Le fondouk se rapproche du caravansérail par le fait qu’il permet d’accueillir les caravaniers, il permet de loger hommes et bêtes et de vendre les marchandises, en général les écuries et les magasins sont situés dans les galeries du bas, les chambres pour le repos des hommes est à l’étage. Si on avait donné le nom de fondouk au marché central c’est parce qu’il en avait la forme et également la fonction de la vente.

De part et d’autre de l’entrée principale qui s’ouvrait par une porte monumentale de style mauresque se trouvaient des locaux, certains les avaient transformés en commerces c’est là qu’Ali le marchand d’huile et de savon avait sa boutique d’énormes réservoirs cylindriques contenaient les différentes huiles d’olive, l’huile uniquement d’olives se vendait au litre avec la mesure en fer blanc, le savon était découpé dans un énorme pain et vendu au poids.

D’autres locaux servaient à stocker des marchandises. Chedli conservait ses marchandises dans un petit réduit qui lui servait d’entrepôt. Il exerçait une profession particulière dont le nom n’existe dans aucun dictionnaire, mais que tout le monde à Tunis connaissait bien : il était ‘roba vecchia’

Cette appellation exige des explications, il s’agit avant tout de la langue italienne, la traduction mot pour mot est ‘linge ancien’ une traduction plus précise serait ‘vielles fripes’ et pourtant je suis tenté de traduire par ‘vieilles nippes’ car le ‘roba vecchia’ achetait tout ce dont les gens voulaient se débarrasser : vieux vêtements, bouteilles consignées, vieux outils, vieux meubles, il reprenait tout.

Mais son travail était aussi de tout recycler et de revendre un bon prix.

Aujourd’hui on a des brocantes ou des vides greniers, nous, nous avions le ‘roba vecchia’ car c’était aussi le nom du personnage, c’est ainsi qu’il se faisait appeler. Chedli avait su s’implanter dans les quartiers de la ville européenne, où la classe sociale moyenne ou intermédiaire, avait tendance à revendre ; il désertait les très beaux quartiers du Belvédère où on préférait jeter plutôt que de revendre. Puis il se rendait à la ‘Petite Sicile’ le quartier fréquenté par les Italiens très peu fortunés ou à la Médina où il trouvait ses clients.

L’originalité du ‘roba vecchia’ était de se faire reconnaître par le son de sa voix, chacun avait sa tonalité, son cri ou son chant et on se demande si certains n’émettaient des sons perceptibles, par-dessus les bruits de la rue, des véhicules à moteur, des cris des vendeurs de rues,

Mais le ‘roba vecchia’ cumulait d’autres fonctions, il était aussi un peu déménageur, les après-midi alors que la rue s’apaisait, que l’activité du marché s’était éteinte, que les ménagères étaient libérées de leur tâches culinaires (il faut préciser que l’on s’approvisionnait en produits frais chaque jour, et que l’on cuisinait sur l’instant, car les grandes surfaces, les réfrigérateurs ou les congélateurs n’existaient pas.

Chedli suivi d’une cohorte de portefaix, ceux-là mêmes qui tout le matin au marché avaient patiemment suivi une dame ou une petite mémé, en portant leurs lourds paniers qui s’alourdissaient au fur et à mesure des achats, déménageaient des meubles, des cuisinières et toutes sortes de lourdes charges.

Il n’était plus question d’achat ou de vente mais d’une activité de service exercée de gré à gré et dans le cadre de négociations et palabres interminables.

J’ai voulu mettre à l’honneur ces petits métiers qui facilitaient la vie du quotidien et qui rendaient la rue vivante et utile car elle s’articulait autour des besoins, des nécessités et des moyens de chacun.

Aucune nostalgie dans ces propos, aucun jugement de valeur, aucune hiérarchisation par rapport au monde d’aujourd’hui, une simple description de la réalité.

Nous sommes au terme de ce petit voyage, certainement incomplet, au sein de l’histoire et de l’âme du petit peuple, toutes nationalités, toutes religions, toutes couches sociales confondues de la Tunisie coloniale de ces années 50, pas question de démontrer, de prendre partie, de juger, de rétablir, de revisiter, seulement le goût et le plaisir de faire revivre.


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Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: rene.lundi (IP enregistrè)
Date: 15 août 2012 : 12:50

Bravo! Excellent et remarquable pour de nombreuses raisons expliquées dans un mail qui s'est effacé de son propre chef au moment de la prévisualisation!
Bravo encore!

Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
Posté par: rene.lundi (IP enregistrè)
Date: 15 août 2012 : 19:52

Merci pour la transmission!



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