Baït ha Mikdash...de Said Sayagh
Posté par:
darlett (IP enregistrè)
Date: 17 mai 2010 : 17:36
Baït ha Mikdash...de Said Sayagh
Saïd Sayagh, (Ecrivain et prof) est né à Meknès. Il est docteur en Histoire, agrégé d’arabe, écrivain, membre de l’A.P.J.M. (Association des Permanences du Judaïsme Marocain, association présidée par le Dr Arrik Delouya).
Mon voyage en Israël a eu lieu dans le cadre de la collaboration entre l’association susdite et ZOHAR, son pendant en Israël.
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J’ai mangé des Falafels à Jérusalem. Ils étaient forts et bons. D’abord, je suis monté vers la ville de l’Eternité. Et, j’ai compris le sens de cette ascension. Non seulement en raison du relief qui m’a donné l’impression que la terre fait un effort vers le haut et le ciel vient à sa rencontre, mais aussi pour cette sensation étrange de pénétrer un espace particulier, unique, un sanctuaire, Baït ha Mikdash, destiné à l’Unicité, à la Paix, au lien indéfectible entre les hommes, tous les hommes et le ciel. Jérusalem c’est d’abord le lieu du temple.
J’ai déambulé dans les rues animées, sans précipitation. J’ai vagabondé, parmi les étals d’artistes qui s’évertuent à faire de cette terre des médaillons de colombes fragiles et délicates dans l’attente d’une fraternité festive, des étoiles bleues, des lettres qui suggèrent une matrice commune aux peuples qui ont écrit, qui écrivent. J’ai parlé, marchandé dans toutes les langues d’aujourd’hui, avec des commerçants venus de Perse, du Yémen, de Russie… J’ai entendu toutes les déclinaisons de l’hébreu, mêlées à tous les accents du monde ; plus de cent cinquante nationalités sertissent la mosaïque Jérusalémite, hiérosolymitaine, si vous voulez.
J’ai fini par monter dans un taxi. Le chauffeur qui habite en Cisjordanie, tient à ce que ses enfants parlent hébreu et rêve de paix. Il lit fièrement en arabe les noms des rues, les directions annoncées sur les pancartes. Partout l’arabe accompagne l’hébreu. Ai-je le droit de rêver ! Le sympathique chauffeur m’a amené dans les lieux de la mémoire.
Jérusalem est la mémoire de l’Homme. Elle est la litanie incessamment répétée des noms qui ne s’épuiseront jamais depuis que l’Homme a découvert sa nudité, jusqu’aux frissons de terreur qui vous glacent à Yad Va Shem. L’angoisse d’une disparition programmée ne vous lâchera plus. Jérusalem est éternelle. Les différents temps historiques et sacrés s’y mêlent dans un enchevêtrement qui la singularise parmi toutes les cités, qui la rend unique.
Puis, le mur ! Et le rêve du temple me reprend. Je ne sais par quel lien formel ou implicite. Les lieux d’élévation, mont de Judée, mont Scorpus, mont du temple, mont Herzl, se renouvellent, assurent la résurrection et donnent corps à l’Eternité.
J’ai la conviction que Jérusalem m’aime.
J’ai posé ma tête sur la vieille pierre, je l’ai caressée comme je caressais le visage de ma mère. Ma main sent les rides, les interstices, le polissage des années et les bruits des temps, de tous les temps.
J’ai glissé mon petit mot dans l’intimité d’une fente. Le ciel est dans la pierre. Je le touche. Et ce mur, indéfectiblement ami du temps, n’a pas peur des péripéties, accueille, imperturbable, le monde entier. Jérusalem est le monde et j’en suis.
Des orants se dandinent, chacun à sa manière. Des mouvements pour que le sens ne s’échappe pas, pour que les mots ne se chargent pas de ce qui les éloigne de leur signification. Chacun trouve son rythme. Chacun est suspendu individuellement à sa prière. A aucun moment je ne me suis senti différent ou que ce qui me distingue me trouble ni trouble quelqu’un.
Moi aussi. Pelotonné sur moi-même, j’ai marmonné dans mes oreilles.
J’ai prié pour la paix et la liberté.
J’ai prié en silence face à la vénérable vieille pierre.
Que la lumière ne s’éteigne pas sur l’or de cette terre.
Que le milliard de glaives se figent, ploient et fondent comme sel.
Que les chaînes défaites ne se referment plus sur les mains ouvrières.
Que le mont ne se noie plus dans l’immensité des sables.
Que les vapeurs des noires huiles n’obscurcissent point le soleil de l’aube.
Que la chape de plomb ne cache pas les voutes du ciel.
Que les rires innocents montent au-dessus des cris des hyènes.
Que les bottes n’écrasent plus les escarpins.
Je ne suis rien pour prier ainsi, rien du tout. Je ne sais pas pourquoi à cet instant une certitude m’a dit que c’est possible.
J’ai imaginé l’espace autour du temple, noir de monde, de toutes les tribus, des clameurs dans toutes les langues. Un monde de paix.
Etends ta paix et couvre m’en avec le monde, Jérusalem.
Je n’ai pu voir qu’un petit bout de la Cité des Cités. J’en rêverai tous les jours et,
je reviendrai.
Said sayagh